
La peur dans l’histoire de l’art
Quels que soient leurs styles ou leurs courants artistiques, les œuvres qui font peur ont toujours existé. La façon de représenter la peur dans l’histoire de l’art a évolué parallèlement aux changements sociétaux et culturels, ce qui se reflète dans l’art de chaque période historique. Au Moyen-Âge, les angoisses liées à la religion et à l’enfer ont dominé la société avant de perdre progressivement de leur importance au profit d’une multitude d’autres sources, d’origine sociale ou psychologique. Rejoignez-nous aujourd’hui pour une leçon sur la peur dans l’histoire de l’art, entre peintures glaçantes et sculptures obsédantes !
La peur liée à la religion pendant la Renaissance

L’artiste néerlandais de la Renaissance du Nord Hieronymus Bosch laisse les historiens perplexes depuis des décennies. Nous ne connaîtrons peut-être jamais la véritable signification de son œuvre. Ce qui est certain, c’est que les scènes cauchemardesques qu’il dépeint dans ses œuvres reflètent les craintes religieuses de la société de l’époque. Le 16ème siècle a été une période de protestations et de réformes religieuses en Europe. Celles-ci ont d’ailleurs entraîné la séparation de l’Église entre protestantisme et catholicisme. Comme pour ses contemporains, la fin du monde et le châtiment éternel de l’humanité préoccupaient profondément Bosch.
Cette œuvre est l’une des peintures les plus effrayantes de sa carrière. Elle s’inspire d’un conte intitulé Les Visions du chevalier Tondal. Dans ce récit, un ange gardien guide un jeune chevalier à travers le paradis, l’enfer et le purgatoire. Après avoir été témoin des horreurs de l’enfer et du purgatoire, il revient sur terre. Là, il fait le vœu de mener une vie vertueuse. Tondal et l’ange gardien apparaissent dans le coin inférieur gauche de l’image.
Les visions artistiques de Bosch ont servi de base à l’imagination de l’enfer tout au long de l’histoire. Avec son style caractéristique, La Vision de Tondal présente un mélange chaotique de personnages nus, d’objets et d’animaux étranges. Dispersées dans ce décor fantastique, les âmes sont punies de diverses manières pour les péchés commis sur terre. Ces châtiments sont montrés à un Tondal endormi par un ange gardien, dans ce qui semble être un curieux rêve… Un tableau qui n’est pas sans rappeler le plus célèbre triptyque de l’artiste, Le Jardin des délices terrestres !
Les années 1800 : le romantisme et la condition humaine
Dans les années 1800, l’Europe change de visage. Le mouvement intellectuel et philosophique phare des 16ème et 17ème siècles, les Lumières, constitue une nouvelle menace pour l’Église. Il ne remet pas seulement en cause des doctrines spécifiques mais la religion dans son ensemble, privilégiant la raison humaine sur la révélation religieuse.
Deux mouvements artistiques dominent l’art européen au tournant du 19ème siècle. D’un côté, le mouvement néoclassique, qui met l’accent sur la rationalité et la perfection de la forme humaine. Celui-ci est très influencé par l’art de l’Antiquité et les philosophies des Lumières. D’un autre, les artistes romantiques, qui rejettent avec ardeur ce style idéalisé. Ils cherchent, eux, plutôt à représenter l’expérience humaine subjective, via les sentiments, l’émotion et l’imagination.
Les peintures effrayantes de Francisco Goya

L’œuvre Saturne dévorant un de ses fils de Francisco Goya est un exemple de cette évolution artistique. Cette œuvre représente Saturne, le père de Zeus dans la mythologie romaine, en train de manger son fils. Selon la mythologie, Saturne mangeait chacun de ses enfants de peur que l’un d’eux ne prenne sa place.
Cette œuvre fait partie des Peintures noires de Goya, une série d’œuvres qu’il a réalisées entre 1819 et 1823. À cette époque, l’artiste a déjà connu sa part de douleur et d’épreuves. Témoin direct des horreurs des guerres napoléoniennes, il survit à deux maladies presque mortelles. Mais il est en ressort plein d’amertume envers l’humanité et il souffre de traumatismes mentaux. En 1819, il s’installe dans une maison située à l’extérieur de Madrid, appelée « Villa du sourd », où il réalise ses Peintures noires. Ces œuvres n’ont jamais été destinées à quitter sa maison ou à être vues par le public. Il travaillait en privé, les peignant directement sur les murs intérieurs de sa maison. Les œuvres ont ensuite été récupérées et fixées sur des toiles par un propriétaire ultérieur de la maison.
Les Peintures noires de Goya sont considérées comme le résultat du déclin psychologique et physique de l’artiste durant cette période. Elles reflètent en particulier sa peur de la maladie et de la folie. Elles sont aussi l’illustration de sa vision pessimiste de l’humanité. Leurs couleurs sombres, leurs thèmes et leurs sujets en font les peintures les plus effrayantes de l’artiste.
Une figure mythologique obsédante pour Camille Claudel
L’artiste française Camille Claudel a également exploré l’expérience humaine subjective dans son œuvre, sous forme de sculpture. Arrivée à Paris à l’âge de 17 ans, elle se voit refuser l’entrée à l’École des Beaux-Arts, alors réservée aux hommes. Elle n’en est pas moins devenue une artiste accomplie.
Claudel a été l’élève d’Auguste Rodin, et est rapidement devenue son modèle et sa compagne. Tout au long de sa carrière, elle a beaucoup souffert, tant sur le plan financier que psychologique. En raison de l’élément sexuel de son travail et de sa représentation audacieuse de la forme humaine, on lui refusait tout financement en tant qu’artiste. Par conséquent, elle dépendait financièrement de Rodin. Après la mort de son père, Claudel se voit rejeter par sa famille qui n’est pas d’accord avec son style de vie. Elle est ensuite placée dans un hôpital psychiatrique par son frère à l’âge de 48 ans.

Ainsi, Claudel s’est sentie trahie par sa famille et Rodin. Elle cesse son art après son internement, de peur que Rodin ne lui vole ses idées. Elle réalise la sculpture Clotho alors qu’elle travaillait encore avec Rodin. L’artiste s’inspire de la figure de Clotho dans la mythologie gréco-romaine. Elle représente le processus de vieillissement à travers le corps mince et déformé d’une vieille femme. À l’époque, cette œuvre a choqué car elle était loin des normes de beauté académiques françaises. Le corps mince et flétri de Clotho exprime non seulement son passage à la vieillesse, mais aussi la douleur et la souffrance de l’artiste.
Le 20ème siècle : une vision surréaliste inquiétante

Les surréalistes sont connus pour leurs peintures subversives, allant parfois flirter avec l’effroi. Cette œuvre de l’artiste espagnole Remedios Varo joue avec le subconscient et l’imagerie surnaturelle, en représentant une femme cagoulée quittant le bureau d’un psychanalyste. Elle tient un panier rempli de ce que Varo appelle des « déchets psychologiques », et une tête d’homme réduite dans son autre main. Elle balance la tête au-dessus d’un puits rempli de liquide.
Comme le suggère l’historienne de l’art Jacquelyn Yvonne White, cette peinture pourrait symboliser la relation de Varo avec son propre père, le chef patriarcal de sa famille. La tête suspendue représenterait l’impact de cette relation sur son état psychologique. Après sa visite chez le psychanalyste, elle est en mesure de retirer ce fardeau de son panier de soucis. Cette image est particulièrement puissante lorsqu’on la considère dans le contexte de l’Espagne du 20ème siècle. À cette époque, la société était traditionnellement patriarcale et le père contrôlait largement la vie de sa femme et de ses filles. La peinture de Varo représentant une femme jetant la tête de son père symbolise son affranchissement des normes dans lesquelles elle est née.
La représentation glaçante de la mort par Warhol

Au même moment que Varo peint ses œuvres surréalistes, le pop art explose au Royaume-Uni et aux États-Unis. Habituellement associé à des couleurs vives et à des images empruntées à la pop culture, cette œuvre d’Andy Warhol témoigne du côté plus sombre du mouvement. Dépouillée de toute couleur et de toute vie, une chaise électrique siège dans une salle d’exécution. Warhol a produit de nombreuses œuvres utilisant cette image à partir de 1963, année des deux dernières exécutions en Amérique. Ces œuvres commentent l’utilisation controversée de la chaise électrique aux États-Unis dans les années 1960, en donnant une image austère mais poignante de la mort organisée par l’État.
Les multiples images de la peur dans l’histoire de l’art
La peur est l’une des émotions humaines les plus universelles. Qu’elle fasse écho à l’effondrement de l’humanité, à la folie ou à la mort elle-même, elle trouve sa place dans les œuvres des artistes depuis des siècles. En plus de mettre en image les sentiments qu’ils ressentent en tant qu’individus, nombre de ces artistes cherchent également à les provoquer auprès de leur public. Ainsi l’effroi est une source d’inspiration sans fin, et ces exemples n’en constituent qu’une petite partie. Des effrayantes peintures de l’enfer de Bosch aux horribles peintures noires de Goya, en passant par la sculpture obsédante de Claudel, quelle œuvre vous a le plus effrayé.e ?

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