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Comment Goya a changé la façon de représenter la guerre dans l'art
La minute arty 04 Juil 2022

Comment Goya a changé la façon de représenter la guerre dans l'art

Francisco de Goya était un maître du clair-obscur espagnol, un peintre politique et un graveur virtuose. Il est sans aucun doute l’un des artistes les plus influents de toute l’histoire de l’art. Nombre de ses œuvres les plus célèbres viennent de commandes de la cour d’Espagne. À la fois courtisan et rebelle, Goya a réalisé des œuvres ancrées dans l’histoire, jouant avec la fantaisie et le grotesque. Avec Artsper, découvrez comment Goya a révolutionné la représentation de la guerre dans le monde de l’art.

Une œuvre d’art anti-guerre

Dans l’histoire de l’art, El tres de mayo de 1808Le Trois Mai 1808 ») de Goya est reconnu comme l’une des plus grandes œuvres occidentales du 19ème siècle. Le tableau est célèbre pour ses qualités picturales, mais il a surtout atteint la postérité pour sa prise de position politique. Pour de nombreux historiens de l’art, il s’agit de la plus grande peinture anti-guerre de tous les temps. Pour comprendre si c’est le vraiment le cas, explorons ensemble le contexte historique de cette œuvre devenue un monument de l’art.

Le trame de fond historique

Francisco de Goya, El Dos de mayo 1808 (« Le Deux Mai 1808 »), 1814 © Museo Nacional del Prado
Francisco de Goya, El Dos de mayo 1808, 1814 © Museo Nacional del Prado

Nous sommes en 1807 et Napoléon, l’empereur des Français, part à la conquête du monde. Lui et son armée arrivent en Espagne. Le roi d’Espagne, Charles IV, souhaite s’associer à la puissance française pour tenter de conquérir le Portugal. Il ouvre grand la porte à Napoléon et ses troupes, qui passent facilement dans les frontières espagnoles. Mais cette prétendue alliance n’était qu’un leurre, un stratagème pour permettre à l’armée de Napoléon d’entrer dans le pays. Après cette mascarade, les véritables désirs de Napoléon sont clairs : il souhaite prendre le contrôle de la région, couronnant son frère, Joseph Bonaparte, roi d’Espagne en titre. 

Le 2 mai 1808, des centaines de civils espagnols se rebellent contre l’occupation française. Le lendemain, le 3 mai, les résistants espagnols sont arrêtés par les autorités françaises et massacrés dans les rues de Madrid. Aujourd’hui encore, le 3 mai reste l’un des jours les plus sanglants de l’histoire espagnole. Bien que Goya n’ait pas assisté au massacre, la mort de ses compatriotes et la réalité effroyable de leurs derniers instants ont eu un impact durable sur l’artiste. Six ans plus tard, suite à une commande du gouvernement espagnol, Goya entreprend de commémorer ce moment de l’histoire. Il donne naissance à deux tableaux puissants : El Dos de mayo 1808Le Deux Mai 1808 ») et El tres de mayo de 1808 Le Trois Mai 1808 »).

Une représentation inquiétante

Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 (détail), 1814 © Museo Nacional del Prado
Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 (détail), 1814 © Museo Nacional del Prado

Le gouvernement espagnol avait demandé à Goya une toile pour commémorer la gloire, le courage et la tragédie ultime des combattants espagnols pour la liberté. Même si la réalité de l’événement a été dévastatrice, le gouvernement s’attendait à une peinture héroïque. Au lieu de cela, Goya a insisté pour dépeindre l’événement avec émotion. Il souhaitait rappeler les horreurs de cette journée aux spectateurs des années, des décennies et des siècles à venir. Cette œuvre est la quintessence du style de Goya et une expression de sa solide formation académique, le tout utilisé pour dépeindre l’horreur de la guerre moderne

Dans son œuvre, Goya crée une atmosphère lourde et inquiétante. Le tableau raconte un moment effrayant, juste avant le massacre des civils espagnols, et la façon dont Goya dépeint les soldats français rend la scène encore plus sinistre. À droite de la toile se trouve une colonnade de soldats, anonymes et sans visage. Le fait que leurs identités soient camouflées au spectateur renforce l’expérience émotionnelle de ce dernier. Ils sont ni plus ni moins que présentés comme des bourreaux. Leurs poses sont synchronisées, robotiques, sans la moindre empathie ; ils ne font qu’obéir aux ordres.

La force puissante du martyr

Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 (détail), 1814 © Museo Nacional del Prado
Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 (détail), 1814 © Museo Nacional del Prado

Les soldats du tableau sont effrayants parce que Goya ne les représente que très peu, ni leurs traits. En revanche, les victimes du tableau, les combattants de la liberté espagnols, suscitent un vif sentiment d’angoisse et d’horreur. Goya les a volontairement peints avec beaucoup de détails, marquant leurs visages effrayés de façon indélébile dans le cerveau des spectateurs.

À gauche de la toile, les combattants de la liberté sont acculés en ligne, quelques instants seulement avant la fin de leur vie. L’un des personnages centraux a été le sujet de nombreuses analyses de l’histoire de l’art, car il est considéré comme représentatif de la figure du martyr. Il porte une chemise blanche, les bras en l’air, de chaque côté, comme une ode à la crucifixion du Christ. D’ailleurs, il révèle les mêmes plaies sur les mains, une allusion sans équivoque aux stigmates du Christ. Si l’homme en blanc est évidemment une victime, il n’est pas tout à fait un martyr. Sa mort ne lave pas les péchés de toute l’humanité ou sert pour une cause spécifique. Au contraire, son assassinat est fait sans compassion, de sang-froid. C’est un message primordial derrière le sentiment anti-guerre de Goya.

Un héritage durable dans l’histoire de l’art

Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808, 1814 © Museo Nacional del Prado
Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808, 1814 © Museo Nacional del Prado

Le tableau de Goya a eu un impact durable sur ses contemporains et les générations suivantes. Avec son message politique fort, il constitue un tournant dans l’histoire de l’art. En effet, il s’écarte des représentations traditionnelles de l’art chrétien et des tableaux habituels sur la guerre. De nombreux historiens de l’art estiment également que El tres de mayo de 1808 est le premier tableau d’art moderne. Cette œuvre est révolutionnaire, dans tous les sens du terme. Que ce soit aussi bien en termes de sujet, de style ou d’engagement de l’artiste, elle a eu un impact puissant sur les artistes, les amateurs d’art et les critiques. Goya a également inspiré les œuvres d’Édouard Manet et le célèbre Guernica de Pablo Picasso. 

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