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Tout comprendre au constructivisme russe
La minute arty 26 Jan 2022

Tout comprendre au constructivisme russe

Tout Comprendre au Constructivisme Russe
Publicité pour la maison d’édition Knigi, à partir du portrait de Lili Brik, par Alexandre Rodtchenko, 1924

Le constructivisme russe est un mouvement qui révolutionna l’art ! Connu pour mettre l’accent sur les formes simples, il s’étend dans de nombreux domaines artistiques. Apparu en même temps que la Révolution bolchévique, il était alors le synonyme d’un monde nouveau. Mais au fait, c’est quoi le constructivisme russe ? Avec Artsper, partons à la découverte de ce mouvement majeur de l’histoire de l’art.

Un art révolutionnaire

« Mort à l’art bourgeois !  Vive l’art révolutionnaire ! » C’est en ces termes, à peu de choses près, que raisonnaient les artistes russes qui fondèrent le constructivisme vers 1915. Un peu comme les artistes du futurisme italien quelques années auparavant, ils voient dans les bouleversements politiques qui agitent leur pays l’avènement d’un monde nouveau. Pas de doute, selon eux, ce monde sera celui d’un art d’avant-garde.

À la même époque, le mouvement bolchevique émerge. Porté par des hommes comme Lénine et Trotski, le communisme est en train de noyauter le milieu intellectuel, ouvrier et militaire russe. Ils souhaitent changer la société et mettre fin à la bourgeoisie et à l’aristocratie. Or l’art classique incarne cet ancien monde. Il représente un loisir de classe réservé aux élites. En tant que plaisir bourgeois par excellence, il faut donc le renverser !

Les artistes du constructivisme russe y travaillent alors activement. On le voit par exemple dans le Manifeste Réaliste écrit en 1922 par Naum Gaubo, l’un des fondateurs du mouvement :

« Nous proclamons aujourd’hui artistes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs, poètes notre parole et notre action… à vous les gens pour qui l’Art n’est pas un simple terrain de conversation, mais au contraire source d’exaltation réelle.

Nous vivons l’éclosion d’une nouvelle la culture et d’une nouvelle civilisation […] qui unit les peuples en une seule union. La guerre et la révolution, nous ont mis en face de nouvelles formes de vie, déjà nées et actives. »

Ce nouveau courant artistique a un tel succès auprès des bolcheviks qu’il devient, pendant quelques années, l’art officiel de la révolution russe. Les artistes sont nommés enseignants dans les principales écoles d’art, et de nombreux lieux publics se retrouvent ornés de leurs œuvres.

Un art révolutionnaire
Vladimir Tatline, maquette pour le Monument à la Troisième-Internationale, 1919

Les principes du constructivisme russe

Après avoir rejeté les formes artistiques du passé, les artistes constructivistes ne voient que deux mouvements qui gardent de l’importance : le cubisme et le futurisme. Le premier analyse, décompose, fragmente et recompose les objets, pour multiplier les points de vue. Le second reprend certains de ces concepts, mais pour les appliquer essentiellement à la modernité, la vitesse et l’industrie.

Mais les artistes veulent aller plus loin. Dans leurs œuvres, le sujet passe au second plan, derrière la forme. Le réalisme n’a plus d’importance, seule compte la composition de l’œuvre. L’art figuratif vit ses dernières heures. Très vite, l’artiste Kasimir Malevitch se contente de faire un carré noir sur un fond blanc, et proclame la supériorité absolue de la forme.

Dans le Manifeste Réaliste, Naum Gabo édicte 5 principes fondateurs du constructivisme russe :

1.    « Nous renonçons à la couleur comme élément pictural […] Nous affirmons que le ton d’une substance, c’est-à-dire son corps matériel absorbant la lumière, est sa seule réalité picturale. »

2.     « Nous renonçons à la ligne et à sa valeur descriptive. Nous affirmons la ligne uniquement comme direction des forces statiques et de leur rythme. »

3.     « Nous renonçons au volume comme forme picturale et plastique de l’espace. Nous affirmons la profondeur comme la seule forme picturale et plastique de l’espace »

4.     « Nous renonçons en sculpture à la masse comme élément sculptural. »

5.     « Nous renonçons au délire millénaire de l’art qui faisait des rythmes statiques les seuls éléments des arts plastiques et picturaux. »

L’affiche constructiviste russe

Dans le manifeste, Naum Gabo continue : « Le fil à plomb dans la main, des yeux aussi précis qu’une règle, dans un esprit aussi tendu qu’un compas… nous construisons notre travail comme l’univers construit le sien, comme l’ingénieur construit ses ponts, comme le mathématicien sa formule des orbites. »

Ces principes, qui seront appliqués en peinture, le sont également beaucoup dans l’univers du graphisme et de l’affiche. Le constructivisme russe trouve d’ailleurs l’un de ces meilleurs terrains d’expression dans ce style graphique très parlant et percutant. Il est particulièrement bien incarné par l’artiste Alexandre Rodtchenko (1891-1956).

Les principes du constructivisme russe
Rechevik. Stikhi (Orator. Verse), couverture de livre, 1929

Constructivisme russe et suprématisme

Le constructivisme russe est très proche d’un autre mouvement d’avant-garde russe : le suprématisme. Beaucoup d’historiens ont d’ailleurs du mal à distinguer l’un de l’autre car ils sont nés à la même époque, issus de la même tradition, et sont incarnés par les mêmes artistes. D’ailleurs, tous deux prônent la supériorité de la forme. Et tous deux proclament la fin de l’art classique.

Par exemple, Kasimir Malevitch est considéré comme le créateur du suprématisme. Mais il est également associé aux constructivistes !

Toutefois les deux mouvements se distinguent sur plusieurs points. Dans le suprématisme, il n’y a pas de sujets. Il n’y a que des formes, pures, authentiques : une croix, un carré, un rectangle. Ne cherchez pas le sujet, il n’y en a pas ! Ou plutôt si ! Le sujet, c’est la forme, pour elle-même, et rien d’autre. C’est un art très intellectuel. On ne parle pas encore « d’art conceptuel » mais le concept n’est pas loin…

Au contraire, les peintres constructivistes essaient d’être plus accessibles au public. Le bolchévisme implique la victoire du prolétariat. Il faut donc que l’art puisse s’adresser au peuple. Grâce à un agencement de formes géométriques simples, rythmées, le sujet doit pouvoir rester lisible. Qu’il s’agisse d’affiches, d’art décoratifs ou de peintures, le constructivisme utilise des volumes simples. Les messages, eux aussi, sont clairs et évidents. C’est le langage des ouvriers et des travailleurs qui est à l’œuvre. C’est également le langage de l’industrie et de la modernité.

Constructivisme russe et suprématisme Kasimir Malevitch
Kasimir Malevitch, Carré noir sur fond blanc, 1915

Le constructivisme russe et l’architecture

Le constructivisme russe n’est pas simplement un art pictural. En effet, les artistes refusent de faire un art réservé aux murs des musées et des collectionneurs. Il doit pouvoir s’adresser à tous, partout ! En danse, en musique, en théâtre, et dans bien d’autres domaines, ces principes sont appliqués pour créer des œuvres provocantes et résolument modernes. Mais c’est en architecture que le constructivisme russe va connaître son plus grand essor.

Les principes du fonctionnalisme et des lignes simples rencontrent un grand succès auprès des architectes. Ilya Golossov (1883-1945) est particulièrement représentatif de ce courant. En 1927, il construit le Club des Travailleurs de Zouïev, un bâtiment iconique du constructivisme russe. On peut y voir des cylindres s’imbriquer dans des rectangles, et former une harmonie géométrique à la fois décorative et fonctionnelle.

Le constructivisme russe et l’architecture Club des Travailleurs de Zouïev, par Ilya Golossov
Club des Travailleurs de Zouïev, par Ilya Golossov, construit en 1927

Ces préceptes émergent un peu partout dans le monde à la même époque. Que ce soit aux États Unis avec Frank Lloyd Wright, en France avec Le Corbusier, en Allemagne avec le Bauhaus, ou en Italie avec l’architecture fasciste. On voit le modernisme émerger de toute part. Toutefois en Russie, l’essor du communisme va profondément influencer les architectes. Les bâtiments sont à la gloire de la révolution et du régime. Ils sont conçus pour sublimer la lutte du prolétariat. Et cela aboutira, petit à petit, à ce que nous appelons aujourd’hui l’architecture stalinienne, un style moderne grandiloquent, mêlant le classique et le moderne dans des proportions monumentales.

La fin du constructivisme

Le constructivisme russe apparaît en fin de compte comme un mouvement assez insaisissable et hybride. Originellement porté sur l’importance des formes et des lignes simples, il est progressivement habité par des concepts politiques. Inspiré par le bolchévisme, l’art doit alors être à destination du peuple. Il doit le représenter et s’adresser à lui. Cependant, au fil de la révolution, et avec l’arrivée au pouvoir de Staline, les principes fondateurs du constructivisme russe vont tomber en disgrâce. Il est considéré trop intellectuel, et les artistes sont démis de leurs postes officiels. Finalement, d’un art révolutionnaire, devenu art officiel, il devient finalement un art censuré… Curieux parcours ! Peut être l’avaient-ils prédit dès le manifeste de 1922 :

« Nous ne cherchons pas consolation ni dans le passé ni dans le futur. Personne ne peut nous dire comment sera le futur, ni avec quels instruments nous pourrons l’aborder… »


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