
Tout ce que vous auriez aimé demander à un restaurateur d'art
Une multitude de profils gravite autour du monde de l’art. Certains organisent des expositions, d’autres les visitent, des collectionneurs achètent. Dans l’ombre, des mains habiles, ont le privilège de toucher des œuvres que nous n’oserions à peine effleurer, celles des restaurateurs. Nous sommes allés à la rencontre d’Alex Vanopbroeke, restaurateur d’œuvres d’art pour en savoir plus.
Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
J’ai ouvert mon propre atelier en 2005 après avoir passé 5 années auprès d’un restaurateur parisien renommé, spécialisé en moderne et contemporain. C’est là où je me suis formé après mes études et stages. Cela fait donc 18 ans que je travaille dans le domaine.
Quel type d’oeuvres d’art restaurez-vous ?
Je suis spécialisé en moderne et contemporain. Il m’arrive évidemment aussi de faire des restaurations sur des œuvres anciennes. A l’atelier, je travaille surtout sur des artistes des années ’50 (art moderne) comme Lanskoy, Poliakoff, Hartung, Schneider, tout le mouvement de l’abstraction lyrique…En art contemporain, les œuvres de la figuration narrative et libre passent souvent a l’atelier. Il y a beaucoup plus de différents matériaux comme pour les sculptures de Calder, Nikki de St Phalle, Morellet,…aussi bien du métal, de la peinture acrylique, du plâtre, des résines pvc et une multitude de support.
Il y a une grande différence entre les deux mouvements. L’art moderne est la continuité de l’art classique. Pour l’art contemporain, l’idée prime souvent sur la matérialisation. L’œuvre peut être éphémère…
Quelle est la restauration dont vous êtes le plus fier ?

C’est une œuvre de John de Andrea, un sculpteur américain né en 1941 associé au mouvement de l’hyperréalisme. La complexité de cette restauration réside dans la difficulté technique. Refaire à l’identique sans apporter des modifications. Et en peinture, je peux vous citer mes premières restaurations, les trois plus grands noms de la peinture, Picasso, Modigliani et Nicolas de Staël.
Pour quel type d’oeuvre la restauration est-elle plus difficile ?
Ça peut être autant un tableau qu’une sculpture, tout dépendra des matériaux utilisés. Ça peut être un néon cassé de Morellet qu’il faudra retrouver, et du même fabriquant et on se dit que dans 10 ans il n’y en aura plus. Et en tableau, c’est l’acrylique qui est compliqué, parce qu’ils peuvent mettre de l’acrylique avec une couche de préparation à l’huile, conclusion il n’y a aucune adhérence entre eux, il faudra donc trouver la bonne technique et effectuer plusieurs tests pour pouvoir le restaurer.
Mon rôle est de prolonger au maximum la vie de ces œuvres sans pour autant changer la vision de l’artiste.
Donc à chaque fois vous avez plusieurs idées de restauration et vous testez pour trouver la meilleure stratégie ?
Oui pour trouver par exemple quelle colle va adhérer, on fait des tests pour voir comment cela va réagir, pour voir si ça prend, si ça ne prend pas. Donc on peut faire une semaine de test et on verra quelle technique va fonctionner.
Avez-vous déjà eu peur de ne pas bien réussir la restauration ?
Non, je ne pense pas. Dès que le test est bon c’est que ça fonctionnera. Je suis un restaurateur assez minimaliste. On ne va pas dénaturer ce que l’artiste a voulu, c’est dans son principe. Préserver, protéger, sans refaire l’œuvre ! Si l’artiste a voulu que son oeuvre se dégrade, il faut le laisser vivre, on pourra peut-être ralentir un peu le processus de dégradation mais on va le laisser vivre, puisqu’il l’a voulu comme ça.
Est-ce que certains artistes vous laissent des indications ou des documents ?
Certains oui, d’autres, on sait exactement ce qu’ils veulent. Il y a une artiste canadienne qui elle, voulait que son oeuvre vive jusqu’à sa mort, et après : on la laisse mourir. Si l’artiste est encore vivant on doit le contacter, mais c’est parfois compliqué. La consultation avec eux est nécessaire tout au long du traitement de restauration. Il est important de collaborer ensemble ainsi qu’avec les conservateurs, marchands, experts, galeristes…
Combien de temps peut vous prendre la restauration d’une oeuvre d’art ?

Il n’y a pas de temps, ça peut aller très vite quand on a trouvé la technique, la bonne solution. Je peux mettre plusieurs jours pour la restaurer, mais c’est tout le processus avant qui est long : trouver la bonne matière, le bon produit, etc.… Dès que tous les tests sont effectués je peux commencer le traitement.. Mais je peux mettre des semaines pour trouver la bonne technique et les bons produits. La plus longue a certainement été celle de John Di Andrea et une autre œuvre de l’artiste Thomas Schütte.
Travaillez-vous seul ? Comment répartissez-vous le travail dans votre atelier ?
Je travaille seul mais en collaboration avec d’autres artisans. Ca peut être un miroitier, un ébéniste, un menuisier, un fondeur pour le bronze, un électricien s’il y a un moteur à réparer. J’ai donc un carnet d’adresses d’artisans avec qui je travaille en étroite collaboration.
Par exemple pour une œuvre d’un artiste contemporain réputé dont je ne peux citer le nom, j’ai du retrouver et faire retailler au format de l’œuvre, un miroir ancien au mercure. Il faisait partie d’un triptyque. Un des trois était brisé, j’ai donc fait appel à un miroitier et nous avons résolu le problème à trois avec l’artiste. Nous avons dû changer un peu son oeuvre, on ne pouvait pas retrouver de miroir exactement comme il était, les tâches ne sont pas au même endroit. L’œuvre a donc été légèrement modifiée mais avec l’accord de l’artiste.
Quelle est l’oeuvre que vous aimeriez le plus restaurer ?
Ce qui est bien dans mon métier, c’est que tous les jours, lorsque je reçois une nouvelle oeuvre je suis content. Là j’ai reçu une sculpture de Carole Feuerman qui est une artiste qui réalise des sculptures hyper-réalistes, c’est la première fois que je restaurais une de ses oeuvres. A chaque fois qu’un nouvel artiste entre dans l’atelier je suis content car il y a toutes les recherches à faire. Un artiste que je n’ai jamais touché, est Brancusi, ça serait mon rêve en sculpture. Et ensuite, totalement pour l’égo, ça serait Basquiat. J’en ai déjà fait un mais c’était un dessin. Un très grand tableau ça serait pas mal. Mais c’est pas pour la technique là, c’est pour le nom !
Qu’est ce que vous préférez dans votre travail ?

Le plus important, c’est la rencontre avec l’artiste, s’il est toujours vivant. Quand une nouvelle oeuvre arrive à l’atelier, c’est excitant car il y a cette partie de confiance et on est impatient de la restaurer. La semaine dernière par exemple, il y avait une dédicace sur la figuration narrative, donc Erró, Adami, Schlosser… C’est la première fois que je pouvais tous les rencontrer. J’ai donc pu leur parler et surtout à Schlosser, parce que j’adore son oeuvre. Il m’a tout simplement expliqué et toute intimité son œuvre, c’était une chance pour moi. Je lui ai dit que j’étais restaurateur et que j’avais restauré pas mal de ses œuvres, il était ravi et content du résultat. Depuis, nous échangeons par mail.
Et puis dans mon métier, on se sent un peu privilégié de pouvoir toucher les oeuvres. Si on restaure un Picasso, il n’y que Picasso et moi qui avons touché son œuvre. C’est quand même magique ! Tous les artistes de l’abstraction lyrique par exemple, qui sont les grands noms des années 50 : Lanskoy, Poliakoff, Schneider, Fautrier ou encore Soulages, Brauner, Dubuffet, Herbin, Valmier, je l’ai ai tous restaurés. Et après on les voit dans les musées…que vous dire…J’ai le plus beau métier du monde.
Êtes-vous également artiste ?
Alors pas du tout ! Je ne crée pas, je peux reproduire beaucoup d’artistes, retrouver la technique, mais je suis incapable d’inventer. J’en ai fait un pour l’amusement et le résultat était juste une influence de tout le monde : Soulages, Poliakoff, Debré, Brauner, Schlosser, Lanskoy. Si je devais l’être à mon avis je serais totalement abstrait.
Le métier de restaurateur a-t-il évolué avec l’art contemporain ?
L’utilisation de nouveaux matériaux par les artistes d’aujourd’hui entraîne de nouvelles difficultés techniques. Les artistes, pour la plupart, se détachent des préoccupations techniques de mise en œuvre. C’est l’idée qui prime sur la matérialisation. Tout le travail consiste dès lors à comprendre le contexte environnant la création de l’œuvre, les matériaux utilisés, leur mise en œuvre, les intentions de l’artiste. Une véritable enquête sur l’œuvre s’impose. La restauration n’est pas envisagée dans le but d’apporter une modification à l’œuvre Le rôle du restaurateur est de prolonger au maximum la vie de ces œuvres, sans pour autant changer la vision de l’artiste. Il doit donc trouver un compromis entre la volonté de l’artiste et la mission de préservation. Parfois un processus de dégradation a été envisagé dés la création et en constitue le fondement. Dans ce cas, le restaurateur peut, avec l’accord de l’artiste, remplacer les matériaux par d’autres. Les œuvres contemporaines sont désormais appelées à avoir plusieurs vies.
Quel est le point le plus important en restauration ?

Le dialogue entre le restaurateur, le conservateur, le marchand et – ou l’artiste. C’est le point le plus important. Je restaure par exemple énormément de Victor Brauner, qui est un artiste moderne, et dès que j’ai un soucis ou une question technique, je vais voir son marchand, qui est pour moi mon meilleur conseil, expert d’un point de vue éthique, technique. Il connait tout sur son œuvre. Et c’est la chose la plus importante dans notre métier. Aussi, il ne faut jamais, jamais changer ce que l’artiste a voulu ! Si son oeuvre est dégradée on va la restaurer au minimum possible. S’il a voulu une tâche à gauche, s’il veut qu’on la laisse, on la laisse. Il m’est déjà arrivé de refuser lorsqu’on m’en demandait un peu trop !
Quel est votre lieu préféré à Paris pour voir de l’art ?
Pour moi, c’est incontestablement, le Musée d’Art Moderne. Actuellement, vous pouvez y découvrir une grande rétrospective sur l’œuvre de Jean Fautrier.
Si certains de nos collectionneurs souhaitent faire appel à Alex Vanopbroeke, voici son site internet: www.avconservation.com et son contact : 06.80.32.41.76 !

À propos d’Artsper
Fondée en 2013, Artsper est une marketplace en ligne d’art contemporain. En partenariat avec 1 800 galeries d’art professionnelles autour du monde, elle rend accessible à tous la découverte et l’acquisition d’œuvres d’art.
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