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L'art, un jeu d'enfant ?
La minute arty 05 Déc 2018

L'art, un jeu d'enfant ?

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Yayoi Kusama, exposition à la Galerie d’art moderne de Brisbane

« Ça de l’art ? Mon enfant aurait pu le faire ! ». Combien de fois vous êtes-vous fait cette réflexion face à une toile abstraite ? Cette interrogation n’est pas si anodine. L’enfant a en effet influencé de manière très importante l’art moderne et contemporain. Retour donc au commencement de l’histoire de l’enfant et de l’art. 

La figuration de l’enfant dans l’art remonte au Moyen-Âge. À cette époque, les représentations de l’enfant sont rares et limitées à celle de Jésus. Peu après, les artistes s’intéressent à l’enfant-roi souvent figuré comme un adulte en miniature.

portrait enfant louis XIV

Portrait anonyme du futur roi Louis XIV, vers 1640. 

De cupidon à l’enfant

À la Renaissance et au 18ème siècle, avec par exemple Rubens et Rembrandt ou encore l’art baroque, les enfants apparaissent parfois sous les traits de cupidons. Au 18ème siècle, l’enfant est davantage perçu comme un être à part entière. Ses représentations sont de plus en plus nombreuses, notamment dans la peinture de genre. Alors que le rôle du couple et de la famille devient prépondérant, les peintres n’hésitent plus à réaliser des portraits réunissant parents et enfants tendrement enlacés.

C’est une enfance heureuse, choyée et libre que les peintres impressionnistes, tels que Claude Monet, Berthe Morisot, Edouard Manet, Renoir et même Cézanne, s’appliquent à représenter.

Mais les enfants ne connaissent pas tous le même sort et la loi sur la protection des mineurs et la prévention des mauvais traitements du 10 juillet 1889 n’est pas encore d’actualité. Certains peintres illustrent donc aussi cette époque où les enfants abandonnés sont contraints de devenir vendeurs dans les rues ou même de se prostituer.

enfant martyr pelez

Fernand Pelez, Un martyr. Le marchand de violettes, 1885

Le dessin d’enfant, source d’inspiration

Le 20ème siècle – alors que le primitivisme s’épanouit – et le début du 21ème siècle accordent à l’enfance une place sans précédent dans l’histoire de l’art occidental. Les artistes avant-gardes commencent à porter une attention particulière aux dessins d’enfants. Leurs maladresses seraient synonymes de pureté et de vérité. On range le « bonhomme » dessiné par l’enfant aux côtés du masque tribal, comme préhistoire de la figuration. Alors que Matisse reste méfiant, Dubuffet s’empare de cette manière enfantine de peindre. Cette dernière n’est pas totalement étrangère à « l’Art brut », terme sous lequel il désigne les productions de personnes exemptes de culture artistique. 

dubuffet autoportrait enfant

Jean Dubuffet, Autoportrait II, 1966

Pour Picasso, en quête d’un langage pictural en rupture avec le réalisme académique, retrouver le geste primitif ou enfantin permet de créer fidèlement l’émotion qu’il ressent et qu’il veut susciter chez le spectateur. Le peintre, qui maitrisait dès son plus jeune âge les techniques de peinture et de dessin, emprunte au dessin enfantin ses lignes anticonformistes. Il souhaite élaborer un langage plastique nouveau. Picasso retient moins du dessin d’enfant la fraîcheur relative à sa gaucherie que sa propension à la distorsion et à la difformité. Visitant une exposition de dessins d’enfant, Picasso aurait dit: « Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux ». Sa vision rejoint en fin de compte celle de Matisse pour lequel « rien n’est plus difficile pour un vrai peintre que de peindre une rose, parce que, pour le faire, il lui faut d’abord oublier toutes les roses peintes ». Ce dernier, Van Gogh, Gauguin, les Fauves cherchent, quant à eux, dans le dessin d’enfant la naïveté d’un geste qui n’aurait pas encore été influencé par les conventions transmises par l’éducation et plus généralement la culture.

Avec l’avènement du pop art, les artistes désacralisent l’œuvre d’art et emploient des symboles populaires parmi lesquels les bandes dessinées et les héros de l’enfance.

picasso peintre enfant

Picasso, Le peintre et l’enfant, 1969

Dès 1947, Jackson Pollock abandonne la représentation. Il inaugure une nouvelle technique qui consiste à déverser la peinture directement du pot. Mais il ne s’agit pas d’un art accidentel. Au contraire, Jackson Pollock contrôle la fluidité et l’épaisseur des lignes (« pouring ») ou l’égouttement de la peinture (« dripping »). La singularité de sa technique provient également du fait qu’il détache la toile de son chevalet pour la poser au sol. Pour réaliser son œuvre, il tourne ensuite autour de la toile, utilisant des bâtons et des outils, en modifiant leur vitesse et leur orientation pour contrôler l’impact de la peinture sur la toile. Ses peintures sont les signatures de son esprit. L’œuvre est, pour l’artiste, la représentation de l’action du corps sur la toile et non une image.

Cet exemple démontre en définitive que les œuvres abstraites sont en réalité le fruit d’une réelle réflexion et d’une volonté des artistes de s’affranchir des règles. Mais pour s’en affranchir encore faut-il en avoir conscience. C’est la raison pour laquelle si l’art abstrait peut parfois ressembler au gribouillage d’un enfant, celui-ci ne serait capable que de reproduire l’aspect esthétique d’une œuvre et non son fondement. En effet, la valeur artistique d’une œuvre est aussi son message et parfois la critique qui l’accompagne. 

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Jackson Pollock, Convergence, 1952

De l’esthétique au scientifique

L’art contemporain ne se limite pas à l’esthétique de l’art enfantin mais interroge l’innocence de l’enfance, ses rêves et ses parts d’ombre. Une question posée notamment en 2018 au Palais de Tokyo dans le cadre d’une exposition consacrée à l’enfance. En effet, dans l’intervalle, psychologues, préhistoriens et, anthropologues ont pris le relais des artistes. Si leurs intérêts sont différents – retrouver l’enfance ou la comprendre – ils sont néanmoins complémentaires. Yayoi Kusama l’a bien compris et pour « Obliteration Room », elle a fait appel à l’inventivité des enfants en leur confiant des milliers de gommettes colorées qu’ils étaient libres de coller où bon leur semblait. On doute toutefois que leurs parents se soient émerveillés de cet élan de créativité une fois rentrés à la maison !




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