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La minute arty 10 Sep 2013

Entretien avec Walter Schels

Le duo allemand Walter Schels et Beate Lakotta collabore en 2004 à la réalisation d’une série composée d’images uniques intitulée «Life Before Death», lancée en Allemagne. Terrifié par la mort, le photographe Walter Schels né en 1936, décide de créer cette audacieuse série minimaliste de portraits de personnes dans l’ordre de « l’avant / après » à travers la mort. Puis, sa partenaire Beate Lakotta, journaliste née en 1965, enregistre des entretiens émouvants des derniers instants. Ils ont donc interrogé et accompagné des malades en phase terminale durant les dernières semaines de leur vie. Walter Schels et Beate Lakotta sont passés dans les établissements de soins palliatifs à travers le nord de l’Allemagne. Les portraits présentaient des individus de 17 mois à 83 ans. Chaque photo est accompagnée de descriptions et anecdotes expliquant ce qu’ils pensent de la mort, du projet ou encore de leur maladie.

Toute sa vie Walter Schels a eu une peur particulière de la mort et des cadavres. La réalisation d’un tel projet lui a permis de se débarrasser de ce traumatisme dans lequel il tentait d’éviter tout ce qui avait un lien avec la mort. Une série photographique introspective où l’on réfléchit intensément à sa propre existence et à l’étape inévitable de la mort.

 

Artsper: Walter, est-ce que tu peux te présenter rapidement pour les internautes?
WALTER : Je suis né en 1936. A la fin de la Première Guerre Mondiale, j’avais 9 ans. J’ai vécu de nombreux raids aériens et j’ai vu de très nombreux cadavres défigurés par cette guerre. J’étais effrayé par la mort ainsi que par les cercueils. Durant toute ma vie, j’ai évité de voir tous ces corps morts, et même ceux de mes parents. En 1974, j’ai commencé à photographier des naissances pour le compte d’un magazine de reportage. Les visages de tous ces nouveau-nés me semblaient la plupart du temps comme ceux des personnes âgées. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’à la fin de cette naissance, il y aura toujours cette mort. C’est cette expérience qui a provoqué en moi un profond intérêt pour le visage et le destin d’une personne. Je suis donc devenu photographe de portrait.

A: Comment est née l’idée de la série «Life Before Death» ? Et pourquoi une collaboration avec la journaliste Beate Lakotta?
WALTER : Beate Lakotta et moi avons été ensemble pendant 8 années et il y a entre nous une différence d’âge de 30 ans. Statistiquement, j’étais donc celui qui allait mourir en premier. Puis, nous avons eu de nombreuses conversations à ce sujet. Tous ces longs dialogues à propos de la mort nous faisaient très peur. Beate travaille comme journaliste au Spiegel News Magazine. Elle a beaucoup écrit sur la psychologie, la médecine et les maladies, sujets qui m’ont toujours intéressé et que je photographie depuis des années. Ensemble nous avons décidé de saisir cette opportunité et de réaliser les portraits de gens qui résident dans des établissements de soins palliatifs, avant et après la mort. J’espérais faire disparaître ma peur en créant ce projet où je devrais sans cesse me confronter  à la mort. Je suis arrivé à un moment de ma vie où je suis suffisamment vieux pour penser à ma propre mort. Donc, il était évident pour moi de boucler la boucle en réalisant un projet tel que «Life Before Death».

A: Cette série photographique se présente dans un style proche du documentaire, à travers un travail minimaliste, pourquoi un tel choix ?
WALTER : Je voulais que les portraits des personnes décédées soient aussi beaux que les portraits pris lorsque ces personnes étaient encore vivantes. La forme documentaire semblait être la meilleure façon d’accentuer le changement entre les deux visages. Mon intention n’était pas de transmettre ma propre peur au public. Donc, pour moi il était important de réaliser des portraits avec une certaine dignité, afin d’amoindrir la peur de la mort, que nous avons évidemment tous. Les premiers portraits que j’ai pris étaient si effrayants que je devais trouver mon  propre chemin pour surmonter ma peur vis-à-vis de ces gros plans. Et le résultat a été de prendre ces visages comme un documentaire tout en conservant le style photographique dont j’ai l’habitude, minimaliste et épuré.

A: Peux-tu nous parler de la réalisation du projet ?
WALTER: Nous avons commencé dans un hospice à Berlin, en Décembre 2002. Nous voulions juste savoir si quelqu’un était prêt à collaborer dans l’optique de photographier des visages avant et après la mort. Mais nous ne pouvions pas nous arrêter là, et nous avons continué tout le mois de Janvier sans retourner à notre maison de Hambourg. Après avoir développé les films, nous avons vu les résultats, qui ont été très impressionnants. Nous avons donc décidé de continuer dans différents hospices à Hambourg. Et nous avons photographié notre dernier sujet en mai 2005, trois ans après son portrait vivant.

A: Travailler avec la mort est très intense et difficile, as-tu posé des limites à cette série ?
WALTER : Nous avons photographié 35 personnes, c’était la seule et unique limite…

A: Quels artistes t’influencent ?
WALTER : Je n’ai pas de photographes particuliers qui m’inspirent. Il y a tellement de photographes que j’admire, et je ne voudrais jamais me comparer à l’un d’entre eux.

A: Peux-tu nous expliquer l’importance de tous ces textes qui accompagnent les photographies ?
WALTER : Sans avoir toutes les informations sur la vie de ces personnes, on semble bien seuls, interprétant toutes sortes de significations dans le portrait que l’on regarde. Ce n’est qu’à travers le texte, qui présente une partie de la biographie, que l’on obtient un contact intime avec les visages observés. Cela nous donne une meilleure idée et un véritable sens (bien plus proche de la réalité) des portraits de tous ces inconnus.

A:Comment peux-tu définir ton projet ?
WALTER : Nous voulions nous confronter à notre propre peur de la mort. En tant que photographe de portraits, des nouveaux nés aux personnes âgées, c’est une évolution normale que d’arriver à la dernière phase qu’est la mort. Le projet est donc une sorte d’approche de notre propre destin.

A: Comment s’est déroulée la première exposition de «Life Before Death» ? Quelles étaient les réactions de la presse et du public ?
WALTER: La première exposition que nous avions eue était au Musée de l’Hygiène et de  la Santé à Dresde, l’un des plus grand musée de l’Allemagne en ce qui concerne la science et l’art. L’exposition contenait environ 50 photos (1mX1m) montrant les deux portrais, avant et après la mort. Cette première exposition a rassemblé en seulement six semaines plus de 50.000 visiteurs. Depuis, nous avons eu des expositions en Allemagne et à l’étranger (Londres, Lisbonne, Luxembourg, Suisse, Italie, Vienne, Israël, Tokyo, Montréal, etc…) La réaction du public et de la presse a été étonnamment positive.

A: Est-ce que la  création d’un tel projet te donne l’envie de travailler encore sur le thème de la mort ?
WALTER : Non, un seul et unique projet est suffisant…

A: Comment s’est déroulé le choix des modèles? Est-ce que les personnes ont facilement accepté de se faire photographier pour le projet «Life Before Death» ?
WALTER: Le personnel de l’hospice nous a recommandé des personnes qui, selon eux, pourraient être susceptibles d’accepter de se faire tirer le portrait pour un tel projet. La plupart des gens que nous avons posés ont acceptés pour plusieurs raisons. D’abord, ils disaient qu’ils voulaient laisser une trace d’eux-mêmes une fois morts. Puis, ils voulaient davantage que le public soit conscient du travail au sein d’un hospice et de l’importance d’un tel lieu. J’ai montré certains de mes livres qui contenaient des  portraits de nouveaux nés et de personnes âgées, mes travaux les ont énormément ravis. Ils avaient donc une grande confiance en moi pour réaliser leur portrait, aussi beau que possible. Seules quelques personnes ont refusés, parce qu’à la fin, elles n’étaient pas capables de regarder leur visage, car il avait beaucoup changé du fait de la maladie et du stress.

A: Une personne t’a-t-elle particulièrement touché ?
WALTER : Bien sûr, nous avons eu beaucoup de participants, mais l’un d’eux était un de mes collègues que je connais depuis de nombreuses années, Heiner Schmitz. Tous mes modèles avaient un profond effet sur moi, chacun à leurs manières. Donc je ne peux pas dire précisément qui m’a le plus touché. Ils sont tous d’égale importance.

A: As-tu  un souvenir particulier à nous raconter durant la réalisation de ce projet ?
WALTER : Il y a trop de souvenirs et trop d’histoires. Trop de choses que je pourrais raconter, mais je ne pense pas avoir le temps suffisant pour le partager ici et maintenant.

A: Quelle est ta relation avec la mort ?
WALTER: Nous savons tous que nous allons mourir un jour. Ce projet a eu un impact important, j’ai perdu ma peur des cadavres et j’essaie maintenant d’apprécier le quotidien de manière plus intense.

A: Est-il possible d’acquérir une des photographies du projet « Life Before Death » ?
WALTER : Les photos de « Life Before Death » ne sont pas à vendre, elles sont trop personnelles, privées et intimes. C’est pourquoi nous ne montrons que les photos dans les musées et autres lieux culturels et non pas dans les lieux publics tels que des centres commerciaux, des parcs etc… Mais il existe un livre en vente sur ce projet (pour l’instant uniquement disponible en allemand), qui contient les portraits, ainsi que toutes les entrevues et des renseignements généraux. Cela serait merveilleux d’avoir également la possibilité d’exposer en France dans un avenir proche.

A :Que pensez-vous d’une plateforme comme ARTSPER ?
WALTER: J’aime beaucoup le concept de la plateforme Artsper, le site est très bien. Je pense que c’est une très bonne façon de rendre l’art accessible à tous dans le monde.

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