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Les mots de l'Art
Artstyle 20 Nov 2013

Les mots de l'Art

Cette semaine Artsper s’interroge sur le lien particulier que tissent l’art contemporain et les mots. Des années 70 à 90, comment ces deux langages interagirent-ils ?

Tout commence par l’évolution du graffiti. Passant de la rue au métro, le graffiti évolua, laissant place aux tags, ces signatures souvent peintes sur toute la surface des rames de métro dans des styles plus ou moins élaborés. Les tags alliaient une dimension visuelle à un symbolisme obscur. A ce stade, la distinction entre écriture et peinture disparut, mais dans l’argot de cette culture graffiti, le terme de « writer » demeura, ce qui prouve que l’objectif était bien d’inscrire son nom. Le mot est donc au cœur du sujet.

La vogue du grand graffiti s’étendant du sol au plafond culmina à la fin des années 1970, période au cours de laquelle cet art fit son entrée dans le système commercial des galeries. L’artiste Jean Michel Basquiat réussit tout particulièrement à tirer parti de ce nouvel art hybride. Après avoir exécuté des graffitis qu’il signait sous le nom de «Samo», il devient l’un des peintres les plus célèbres des années 1980, jusqu’à sa fin tragique en 88.




Au cœur de ce nouveau climat culturel résidait une suspicion de plus en plus répandue à l’égard de toute idée dominante ou totalisante. La disparition d’une théorie artistique prépondérante permit à un large éventail de pratiques artistiques de s’imposer. En peinture, la figuration et l’expressionnisme revinrent au goût du jour tant aux Etats-Unis qu’en Europe et, avec eux, le lettrage « démotique » que l’abstraction, le pop art et l’art conceptuel avaient banni. C’est ainsi que l’artiste américain Julian Schnabel, un représentant de ce renouveau expressionniste, put peindre de gigantesques lettres sur une toile de bâche non tendue, utilisant le nom de saint Ignace de Loyola, fondater des jésuites, pour évoquer un riche contexte historique.

L’artiste allemand Anselm Kiefer mit au point, quant à lui, une nouvelle forme de « peinture d’histoire ». Ses tableaux gigantesques, qui comportent de gros empâtements, sont traversés par une écriture nettement gestuelle apparaissant en creux dans l’épaisseur de la peinture. Ce sont souvent les titres des œuvres qui sont écrits de cette manière. Venant se superposer à l’image peinte, ils la défigurent et envahissent le champ de vision du spectateur. L’intrusion de ces éléments discurssifs fait prendre conscience de l’immédiateté de la surface de l’œuvre. Pour Kiefer, l’indétermination du sens était importante : « le malentendu crée la distance ».  Les textes ancrent aussi l’image dans un champ de références narratives, tournant souvent autour de l’histoire tragique de l’Allemagne.

Dans un monde bouleversé par de grandes innovations technologiques, un monde aux frontières fluctuantes, il n’était pas étonnant que les panneaux publicitaires soient devenus omniprésents. Cet affichage intensif mettait en évidence l’existence de nombreux décalages entre l’échelle mondiale et l’échelle locale, entre la sphère publique et la sphère privée. Ce fait donna l’idée à l’artiste canadien Ken Lum de mêler les enseignes de boutiques à des textes de nature émotionnelle ou politique au contenu absurde, amusant ou dérangeant.

Ken Lum, ©MAMCO

La prise de conscience du chaos et de la confusion régnant au sein des forêts de signes se trouvait compensée par le désir de rendre l’art accessible et de l’affranchir du pouvoir des médias. Une série d’œuvres photographiques due à l’artiste anglaise Gillian Wearing illustre bien cet état d’esprit. Cette artiste parcourut les rues de Londres avec son appareil photographique et demanda aux passants d’écrire tout ce qui leur venait à l’esprit. Ces textes gribouillés au feutre étaient tantôt drôles, tantôt tristes, tantôt déroutants. L’écriture devenait là encore le véhicule d’une sorte de communication authentique et désespérée. Elle prenait en outre un tour confidentiel susceptible de court-circuiter la banalité du discours public ordinaire.