
Art contemporain et religions : blasphème ou amour?
Le 2e commandement du Décalogue (Tables de la Loi), commande : « Son saint nom tu respecteras, fuyant blasphème et faux serment ». Pourtant, entre l’art contemporain et la religion, le mariage bat parfois de l’aile. Alors que dans le passé, l’art était son compagnon idéal, son plus fidèle allié, aujourd’hui, il met à mal son ex-conjoint. Car dans un monde inondé d’images chocs, les artistes se plaisent à chatouiller les dogmes. Puisque les religions ont fixé des règles pour représenter la figure sacrée de Dieu, les artistes s’obstinent à les transgresser. Deux conceptions s’affrontent : la liberté d’expression d’un côté, et le respect des croyance de l’autre. Artsper vous sélectionne les plus grands blasphèmes de l’art contemporain.
Passage en revue des Christs crucifiés blasphémateurs
Le thème de la crucifixion fut tellement idéologiquement populaire chez les artistes à partir de la Renaissance qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que les artistes d’aujourd’hui revisitent largement son iconographie. Représentant l’image d’un homme sacrifié pour un idéal, les artistes se plaisent à critiquer la nature de cet « idéal ». Mais avant tout, il s’agit de distinguer le « Christus triumphans » (triomphant) ; le « Christus patiens » (résigné) ; et le « Christus dolens » (souffrant).
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Comment ne pas commencer cette sélection par son plus célèbre exemple ? Représentant un crucifix plongé dans un bain de sang et d’urine, Piss Christ n’a pas fait rire tout le monde. Lors d’une exposition à Avignon en 2011, un groupe d’extrémistes chrétiens ont même vandalisé l’œuvre avec un marteau et un tournevis, en criant « Vive Dieu ! vive Dieu ! »
Et pourtant, l’artiste ne considère pas son œuvre comme blasphématrice, non. Il s’agit simplement d’une « condamnation de ceux qui abusent de l’enseignement du Christ pour leurs propres fins ignobles » déclare-t-il. Jean de Loisy le soutient en estimant que « quand Serrano plonge le Christ dans les humeurs, il ne cherche pas l’offense mais s’interroge sur la question de Dieu fait homme ».
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Prosternez-vous devant le « Christus triumphans » (triomphant), ou plutôt le « Mickey triumphans ». Walt Disney a enfin réussi à prendre la place du fils de Dieu et le règne capitaliste est à venir ! Mais lorsque Mickey crucifié se retrouve en couverture du magazine artistique Mouvement, le magazine est inondé de messages d’insultes et de menaces, en particulier venant du groupuscule catholique Civistas.
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Le Christ reprend l’iconographie du « Christus patiens » (résigné) ou un « Christus dolens » (souffrant). Mais qui ne le serait pas (résigné et triomphant) lorsqu’il s’agit d’aller faire des courses le dimanche précédant Noël ? A croire que le sacrifice du Christ ne fut pas pour l’humanité, mais pour une société du shopping…
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Est ce un Christ qui a triomphé de la cigarette, ou bien s’y est-il résigné ? Sarah Lucas, une artiste majeure du groupe des Young British Artists, s’est lancée dans cette série d’œuvres faites à base de cigarettes depuis qu’elle a arrêté de fumer en 2000. Mais le Christ mérite-t-il d’être englué avec ces « bâtons de la mort » ? Sans doute aurait il préféré les fumer lui, afin d’éviter que d’autres ne le fasse, par esprit de sacrifice…
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A partir de la représentation du Christ en croix du Retable d’Issenheim, Adel Abdessemed pose la question sans réponse de la souffrance humaine. A la chair pénétrée par les épines chez Grünewald, il substitue un corps constitué de fils de fer barbelé acéré et tranchant, instrument et symbole contemporain de la violence et de la souffrance. L’artiste figure le crucifié comme une immense blessure, concentrant en un seul corps à la fois la torture et la cruauté.
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Non vous ne rêvez pas, cet artiste est réellement et physiquement crucifié à une Volkswagen. Cette voiture, qu’il considère comme « la voiture du peuple », est le support parfait pour son Trans-fixed. Le titre évoque en effet la « transsubstantiation », la transformation de l’eau et du pain en sang et en corps du Christ lors de l’Eucharistie.
Le christianisme, religion la plus caricaturée
Bafouer l’iconographie chrétienne est un sport de longue date. De grands artistes modernes s’y sont déjà attelés, et des œuvres de Max Ernst (La vierge corrigeant l’Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre) ou de Salvador Dali (Parfois je crache par plaisir sur le portrait de ma mère) ont déjà mis a néant le peu de censure qui restait dans l’art chrétien…
Le thème de La Cène se prête bien à cet exercice de blasphème. On pense notamment à Triple A de Anne-Catherine Becker-Echivard (en vente sur Artsper) et à Yo Moma’s Last Supper par René Cox.

En 2001, Rudy Giuliani, le maire de New York, a souhaité sauver la morale de sa ville en censurant cette œuvre présentée au Brooklyn Museum. La nudité d’un Christ devenu femme l’ayant choqué, il proposa la mise en place d’une charte morale pour les musées recevant des subventions publiques. Heureusement sa démarche n’a pas abouti et l’œuvre a continué de circuler dans le Connecticut, à Venise et à Jakarta.

Dans l’Évangile selon Marc (27:46) il est dit : « Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte : Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ici, la « Nona Ora » (traduction : Neuvième heure), représente Jean-Paul II écrasé par une météorite. Dieu l’aurait-il abandonné ?
La religion musulmane bafouée ?

Construite à partir de versets calligraphiés du Coran et conçue comme un hommage aux Rotoreliefs de Marcel Duchamp, l’œuvre devait être projetée lors d’une exposition à Toulouse en 2012. Mais alors que la projection de l’œuvre passait sur le sol… Drame… Une passante marcha sur les versets du Coran. Un groupe d’individus musulmans s’offusquèrent, s’en suivit une altercation, l’offenseuse fut giflée, et l’œuvre fut retirée pour apaiser les esprits. Mais comme souvent, l’autocensure d’un musée attire encore plus d’attention sur la nature blasphématoire (ou non) de l’acte.

Exposée à l’occasion de l’exposition « USA Today » de Charles Saatchi, cette œuvre a pour le moins suscité la polémique. Dans une position proche du sujud musulman, perchée sur un socle ressemblant à un autel, l’œuvre de cette artiste pakistanaise choque. Toutefois, afin de ne pas échauffer les esprits, le caractère blasphématoire de l’œuvre n’est pas affirmé, et l’œuvre ne désigne pas directement le sujud. L’œuvre dénonce plutôt toute forme de soumission.

Élevée par une mère musulmane et un père chrétien, cette artiste anglaise a deux thèmes de prédilection, les femmes qui s’affirment et l’Islam. Son mode de traitement est toujours dans la provocation et elle se met volontiers en scène pour trouver la pose parfaite.
Même les hindous peuvent se vexer face à un blasphème…
Manish Harijan, The Rise of the Collateral

La Cour Suprême indienne a rappelé que la foi hindoue se caractérise notamment par « l’esprit de tolérance et de bonne volonté pour comprendre et apprécier le point de vue de l’adversaire, basé sur la révélation que la vérité comporte plusieurs apparences ».
Cependant, l’artiste népalaise Manish Harijan a reçu des menaces de mort à l’occasion de la présentation de ses œuvres, mélangeant imagerie occidentale et dieux hindous. Alors que l’artiste prétendait représenter l’influence occidentale sur les cultes asiatiques, la World Hindu Federation a fermement condamné ces œuvres blasphématrices.

À propos d’Artsper
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