Home > La minute arty > La céramique de Picasso : un trésor oublié
La céramique de Picasso : un trésor oublié
La minute arty 27 Sep 2023

La céramique de Picasso : un trésor oublié

Photographie de l'exposition Picasso at Madoura
Photographie de l’exposition Picasso at Madoura, 2016 © Bastian Gallery

Le travail pictural de Picasso est l’un des plus célèbres au monde. L’artiste, extrêmement prolifique, a bouleversé l’histoire de l’art. On dit qu’il y a un avant et un après Picasso… Mais connaissez-vous l’intégralité de son œuvre ? Entre 1947 et 1971, le maître incontesté du cubisme réalise de nombreuses pièces en céramique, restées inconnues du grand public. Ensemble, partons à la découverte d’un pan mystérieux de la carrière de Pablo Picasso.

Le coup de foudre artistique

Visage Tourmenté, céramique datant de 1956
Visage Tourmenté, 1956 © Artsy

À la libération, Picasso passe progressivement plus de temps dans le sud de la France. Là-bas, il renoue avec ses racines méditerranéennes, et s’entoure d’artistes célèbres de l’époque. Il rend notamment visite à Henri Matisse à Nice. La Côte d’Azur devient son terrain de jeu lorsqu’à l’été 1946, il se rend à une exposition de poterie à Vallauris, près de Cannes. C’est là qu’il découvre et s’émerveille du travail de Georges et Suzanne Ramié, propriétaires de l’atelier de poterie Madoura. Les trois artistes font alors connaissance. S’ensuit une proposition à l’artiste : celle de venir créer trois pièces en terre cuite à l’atelier Madoura. Picasso accepte l’invitation et redécouvre les sensations que procurent le travail de la terre. En effet, son initiation au modelage aux côtés de Francisco Durrieu remontait aux années 1900… 

L’année suivante, finalement installé dans le Sud, le cubiste rend à nouveau visite à ses amis céramistes. Il découvre à l’atelier de Vallauris le rendu spectaculaire des pièces qu’il avait envoyées à la cuisson des mois auparavant ; c’est le coup de foudre. Au cours des deux décennies suivantes, Picasso explore la céramique en s’inspirant de la lumière et de la nature méditerranéenne. 

La collaboration avec l’atelier Madoura

Picasso et Madame Ramié chez Madoura
Photographie de Pablo Picasso et Suzanne Ramié, 1957 © DD Duncan

Riche d’un portfolio de croquis débordant, Picasso reprend ses esquisses et modèle pièce après pièce. Cette production presque industrielle n’est pas sans rappeler son image d’artiste hautement prolifique. Un grand nombre de céramiques résultent de l’élan créatif de Picasso durant ces vingt-cinq années chez Madoura. Vallauris lui permet de se réapproprier l’art de l’argile. Après les horreurs de la guerre, l’atelier ouvre le champ des possibles pour l’artiste.

Installé dans un coin de l’atelier aménagé spécialement pour lui, Picasso célèbre la terre. Il travaille même les rebuts de la fabrique, ces bouts de terre inexploitables dont personne ne veut. L’artiste dessine des formes originales et peint sur des pièces plus traditionnelles. Parfois, il ajoute la patte Picasso à des pots créés des mains de Suzanne Ramié. Cette dernière lui partage ses secrets sur la cuisson de la terre et sur la peinture de l’émail. Les résidents de l’atelier accompagnent l’artiste dans sa démarche artistique et portent une attention particulière à son épanouissement. Ils le conseillent et l’assistent dans la création de ses pièces. Découle de cette étroite collaboration une vaste collection de pièces aux exemplaires limités. 

L’objectif pour le groupe était de produire des pièces d’exception aux prix accessibles. Picasso estimait que la céramique devait être considérée comme faisant partie des beaux-arts. Elle devait par la même occasion rompre avec la tradition des objets utilitaires. Selon Éric Moinet, les céramiques de l’artiste constituent « une part très importante de son œuvre qu’il faut réévaluer ». Longtemps restées entre les mains de la famille Picasso, « ce sont des pièces peu vues », d’autant plus que le public français a tendance à assimiler la céramique à un art décoratif. 

La création d’un lieu de vie

Picasso et Marc Chagall à Vallauris
Photographie de Pablo Picasso et Marc Chagall à Vallauris, 1948 © Sud Ouest

D’autres artistes français connus majoritairement pour leurs peintures sont reçus par Suzanne et Georges Ramié. Parmi eux, Henri Matisse, Marc Chagall ou encore Victor Brauner.  Mais cette expérience à l’atelier Madoura s’avère ne pas être seulement professionnelle. En 1953, le plus français des espagnols y rencontre Jacqueline Roque, sa dernière épouse. Celle qui l’accompagne à la fin de sa vie partage le quotidien d’un Picasso pour qui la céramique se présente comme une retraite presque spirituelle, à l’abri des exigences et des tracas liés à la peinture.




Les influences méditerranéennes

Céramique de Picasso

Corrida Soleil
, 1953 © Tajan

Parmi les thèmes de prédilection dans la céramique du grand maître andalou, on retrouve les éléments propres à sa jeunesse entre Malaga et Barcelone. Sur ses plats typiques du bassin méditerranéen, il peint le soleil, la corrida, les taureaux, les oiseaux, les visages tourmentés. Ces longues années passées déraciné le rattrapent. Alors, il se réfugie dans son art et insuffle une esthétique méditerranéenne, une sorte de « joie de vivre », à ses œuvres. Les pots chypriotes l’inspirent, il les orne alors de visages féminins. Il représente des scènes de combats de taureaux sur ses pots tantôt ronds, tantôt ovales. Il est influencé par la céramique hispano-mauresque et produit de la vaisselle et autres plats décorés des deux côtés, comme l’étaient ceux qu’il observait enfant. 

En céramique, le processus de création reflète subtilement le cours de la vie humaine. Picasso en a conscience. La terre, le feu, le repos. La matière passe par des cycles précis, qui laissent pourtant une grande place au hasard. Cette dimension allégorique se traduit chez lui par une utilisation des figures mythologiques, et par un recours aux éléments picturaux de l’Antiquité. Il voit là le moyen d’exprimer le conflit éternel entre mortels et immortels, entre la vie et la mort.

Communiste, Picasso représente des colombes sur ses céramiques. À l’époque, retourner en Espagne est inenvisageable pour l’artiste tant que le Général Franco est au pouvoir. De plus, son engagement politique l’encourage à proposer ses pièces à des prix abordables.




La place de la céramique dans l’œuvre globale

Céramique de Pablo Picasso réalisée en 1963
Visage n°192, 1963 © Sotheby’s

L’élasticité et la versatilité de la terre ouvrent pour Picasso la voie vers de nouvelles perspectives plastiques. Éric Moinet témoigne : « il a eu une influence considérable sur l’œuvre des céramistes des années 1950 à 1970 » et est « l’un des premiers à inscrire la céramique dans le langage artistique de la deuxième partie du 20ème siècle ». Comme en peinture, l’artiste casse les codes et explore les textures et les éléments, notamment le feu et son imprédictibilité. Mais détrompez vous, l’artiste ne rompt pas avec son premier amour, la peinture. En 1957, 10 ans après sa découverte de l’argile, il réinterprète le chef-d’œuvre de Diego Vélasquez, Les Ménines.

Aussi, on retrouve dans bon nombre de ses céramiques les éléments auxquels l’artiste nous a habitués en peinture. C’est notamment le cas avec Visage n°192, une assiette décorée d’un visage féminin qui fait écho à ses huiles. En pratiquant la céramique, l’artiste espagnol renoue avec son âme d’enfant et se découvre une nouvelle passion. L’artiste se construit en réalité un échappatoire ; il consacre à cette pratique inattendue le même processif créatif que pour ses toiles. Avec l’aide de l’atelier Madoura, il réédite 633 de ses céramiques. Pour se faire, il donne les instructions sur le nombre de tirages à produire. Mieux encore, il en tamponne certaines de la mention « empreinte originale de Picasso ». En effet, l’artiste veillait presque religieusement à ce que ses pièces soient signées, numérotées, datées, et parfois même localisées. Cependant, Picasso entend que ses pièces en terre cuite aient un usage quotidien. Il écrit à André Malraux à ce sujet : « J’ai fait des assiettes, on peut manger dedans ».

Et aujourd’hui ?

Grand vase aux femmes voilées, chef- d'œuvre de Picasso
Grand vase aux femmes voilées, 1950 © Christie’s

Aujourd’hui, les œuvres en terre signées Picasso gagnent en popularité. Des expositions dédiées voient le jour, comme « Picasso céramiste et la Méditerranée » en 2014 au centre d’art contemporain Les Pénitents Noirs à Aubagne ou plus récemment « Picasso-Rodin » au musée Picasso à Paris. De plus, les recherches autour de l’œuvre du monument de l’art moderne ne cessent de s’approfondir. Du côté du marché de l’art, ses céramiques sont régulièrement soumises au feu des enchères. Dernièrement, Christie’s a établi un record de vente avec Grand vase aux femmes voilées, adjugé à 1,14 million d’euros. L’histoire de Pablo Picasso est une source éternelle d’inspiration pour ses successeurs. Elle fait à présent l’objet de nombreuses relectures, à la lumière de sujets sociétaux contemporains. 




À propos d’Artsper

À propos d’Artsper

Fondée en 2013, Artsper est une marketplace en ligne d’art contemporain. En partenariat avec 1 800 galeries d’art professionnelles autour du monde, elle rend accessible à tous la découverte et l’acquisition d’œuvres d’art.

En savoir plus