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Le bioart
La minute arty 20 Mar 2014

Le bioart

Cette semaine, Artsper se penche sur un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur, le BioArt. Alors que les festival de BioArt se multiplient dans les musées du monde, ce mouvement soulève plusieurs questions : où se trouve la frontière entre art et science ? Quelle légitimité à user de procédés scientifiques pour faire avancer le processus créatif ? Autant de questions que nous nous posons aujourd’hui avec vous.

 Stelarc, bioartiste australien de la première heure, résume, en une seule phrase, le but ultime du BioArt. Faire de l’homme sa propre œuvre, en dépassant ses limites, jusqu’à devenir une entité hybride.

« Nous mourrons quand on débranchera les ordinateurs qui nous maintiennent en vie »

Le bioart est difficile à appréhender, car il revêt autant de formes qu’il existe d’artistes s’y adonnant. Il devient alors plus facile de prendre les choses au cas par cas.

En 2010, la française Marion Laval-Jeantet, aidé de Benoît Mangin, se voit injecter une dose significative de sang de cheval dans les veines. Les procédés bio-technologiques, réservés à la science, deviennent alors le moyen d’expression des artistes. May the Horse live in me transforme Marion en centaure, mi femme mi cheval. Pendant la performance, prise de fièvre (de cheval évidemment), l’artiste peut à peine marcher, juchée sur des prothèses de sabots de chevaux. Pendant les semaines qui suivent l’injection, l’artiste ne dort plus que quatre heures par nuit, se sent dotée d’une force physique totalement improbable au regard de sa frêle silhouette. Elle est aussi prise d’une peur panique quand quelqu’un s’approche d’elle par derrière. Des réactions typiquement chevalines. Une prise de risque énorme, tant on sait bien que dans n’importe quelle transfusion, d’autant plus entre deux espèces différentes, le risque de choc anaphylactique pouvant entrainer la mort est élevé. Au delà de l’aspect presque mythologique de la performance, l’artiste entend démontrer la place de l’animal au sein de nos sociétés, en prenant sa place. Dépasser la perception humaine.

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May the horse live in me, 2010, Galerie Kapelica, Ljubljana, Slovénie

Le bioart est par essence déstabilisant. Les distinctions entre nature, technique, organique ou mort sont totalement brouillées.

Jusqu’ici, le bioart n’entre pas dans les catégories bien établies du marché de l’art international. De toute façon, il n’est pas généré pour entrer dans les rouages du marché. Ces deux entités s’excluent. La raison en est assez compréhensible : la plupart du temps, il ne s’agit pas ici de production d’objets, mais d’exposer des  procédés bio-technologiques éphémères dont la fin est la justication même de leur existence première. Pour le dire plus simplement, le bioart ne peut durer dans le temps quand son matériau principal, l’humain, est voué à la mort. Pas de perennité possible.

 Les préparatifs sont souvent longs et sophistiqués. May the Horse Live in Me a nécessité des années d’expérimentations pour que la transfusion se fasse dans les meilleures conditions possibles. Si vous émettez des doutes, non sans raison, il faut savoir que les bio artistes sont convaincus de la pertinence de leurs actes, et pensent que le bioart sera reconnu comme un mouvement à part entière dans les prochaines années.

L’artiste Paul Vanouse travaille, depuis le début des années 90, sur l’empreinte génétique. Il est communément admis que cette empreinte est d’une intégrité absolue, et que les gènes sont non modifiables. Des certitudes que Paul Vanouse remet en question avec ses manipulations d’ADN. Sa construction à posteriori et artisitique de l’ADN renverse totalement notre vision. L’artiste peut fabriquer n’importe quel profil, comme une recette dont il aurait les ingrédients.

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Latent Figure Protocol, 2006

S’il se sert de la science dans ses œuvres, c’est surtout pour  évoquer aussi la possibilité glacante mais pertinente d’une résurgence de l’eugénisme, la grande idéologie nazie. Le racisme génétique, une toute nouvelle forme de discrimination, se tient alors en embuscade. Dans son travail Relative Velocity Inscription Device, Paul Vanouse, issu d’une famille multi- ethnique, organise une course de gènes responsables de la couleur de peau entre sa sœur, son frère ses parents et lui même. Ludique, mais terrifiant.

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Relative Velocity Inscription Device

Les artistes qui oeuvrent dans les laboratoires peuvent être comparés à des correspondants de guerre, à mi chemin entre deux mondes, qui tentent de faire émerger une prise de conscience sur l’aveuglement médiatique de la science. Le bioart permet de prendre conscience à quel point l’humain est facilement manipulable, et modifiable à l’envie.

Joe Davis, le pionnier des bioartistes, l’homme à la jambe de bois, travaille en étroite collaboration avec le prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology). Il y fabrique des circuits radio bactériens et de l’electronique bactérienne. Jamais à court d’idées, Joe Davis milite, dans les années 70, pour envoyer de l’art dans l’espace, avec Poetica Vaginal, un signal sonore retranscrivant les contractions vaginales. Pour lui, le devoir de l’artiste est avant tout d’ouvrir une fenêtre sur le monde, et une fenêtre n’est intéressante à ouvrir que sur quelque chose d’inconnu. En ce sens, l’art et la science avancent vers un but commun.

Sous couvert d’humour, d’ironie et de provocation, les bioartistes ont une connaissance très forte des domaines de la biologie moléculaire et de la physique. Si l’on en ressent le besoin, il est facile de les rattacher à un courant, celui de l’humanisme de la Renaissance. Rigoureux et mathématicien, ils sont les descendants directs de Leonard de Vinci, tout comme Lawrence Weiner ou encore James Turrell.

Le japonais Jun Takita propose une démarche différente mais similaire dans son but. Récemment, il a réalisé une reproduction en 3D de son cerveau, qu’il a recouvert d’une mousse génétiquement modifiée, phosphorescente. En utilisant leurs corps comme matériau principal, les artistes tentent d’apprendre des choses de manière subjective, dans un approfondissement général de la connaissance. Notre existence n’est pas réduite à un corps génétique. Il n’est que le produit d’une évolution, un point de départ d’une évolution future qui sera opéré par l’homme, dans une dimension quasi théologique. L’homme se prolonge sous forme de réalisations techniques et biologiques, libéré de son enveloppe charnelle.

Stelarc, artiste australien, considère le corps sous sa forme actuelle comme obsolète et inadapté. Il ne s’agit pas pour lui de construire un corps parfait (on dépasse alors la peur de l’eugénisme), mais d’explorer d’autres architectures anatomiques. Dans sa série Body Hacking, l’artiste modifie le corps en y implantant des prothèses. Il est alors envisagé au delà de ses frontières.

Notre corps est doté d’espaces vides qui pourraient, selon toute vraissemblance, accueillir plus de technologies. Le bioart deviendrait alors destiné à un espace physiologique privé (l’intérieur de votre estomac par exemple). De vrais cyborgs, de purs réceptacles, qui échappent à la mort, et même à la naissance, grâce au clonage. Sans naissance et sans mort, comment définir alors notre existence ?

Stelarc drawing with robot arm

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Cette oreille implantée dans le bras de l’artiste vous fait souffrir ? Le but n’est pourtant pas de soumettre le corps a une experience douloureuse (même si certains happenings de Stelarc nous permettent d’en douter).  C’est avant tout un challenge pour un artiste que d’avoir recours aux technologies technologies modernes, et voir ce qu’elles ont à apporter.

Les bioartistes, de manière générale, tentent de rendre vsible ce qui n’est pas accesible à notre vue. Le non intérêt du public n’entrainant pas l’invalidité de la performance, la plupart d’entre eux restent tout à fait confidentiels, et effectuent leurs recherches seuls.

Qu’on ne se le cache pas, chez de nombreux artistes, la part de narcissisme est énorme. Que ce soit par l’introspection, ou pour rendre accessible à tous leur corps, en l’amplifiant, en augmentant son accessibilité. L’intérieur du corps n’est plus un mystère. Comme Frankenstein, les hommes portent en eux la blessure originelle de ne pas pouvoir créer eux mêmes la nature.  Fatalement, le bioart permet aux artistes de devenir des démiurges. Mais la prise de risque est énorme. Les procédés bio-technologiques coûtent cher, la reconnaissance est quasi nulle, les ventes inexistantes. Le simple fait d’exposer leur travail relève déjà du miracle.

La liberté de création est alors totale.

À propos d’Artsper

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