Le mouvement Arts and Crafts et l'environnement

La crise environnementale est au centre de tous les débats. L’occasion pour Artsper d’évoquer la nature dans l’art et de s’inspirer d’artistes défenseurs de la biodiversité et des droits humains ! Le mouvement Arts and Crafts voit le jour en Angleterre vers 1860. Il est célèbre pour ses matériaux nobles et massifs, ainsi que pour ses somptueux motifs floraux que l’on retrouve dans les fameux papiers peints de l’un de ses chefs de file, William Morris. Prêt.e à passer en revue ce mouvement plus actuel qu’il n’en a l’air ?

Aux origines du mouvement

Dans l’Angleterre victorienne des années 1860, l’art n’est pas au centre des préoccupations. C’est sans parler de la quasi disparition de l’artisanat, totalement évincé de la société industrielle anglaise. Une dizaine d’années plus tôt, c’était le groupe des préraphaélites, un contre-mouvement britannique célèbre pour ses représentations de la nature et ses références à la littérature, qui se dissolvait. Deux de ses membres, Rossetti et Burne-Jones, s’associent à une entreprise de design appelée Morris, Marshall, Faulkner & Co. L’un de ces noms résonnera dans l’histoire de l’art comme celui d’un des précurseurs du mouvement artistique Arts and Crafts… 

Ce mouvement fait écho aux préoccupations de son époque, notamment à celles des artistes-artisans qui rejettent la course au progrès et la production en série impulsées par la révolution industrielle. Aussi, la société britannique connaît une profonde mutation. Celle-ci est observable sur de nombreux aspects : les rapports sociaux, le rythme de travail, le niveau de vie. C’est cette réorganisation de l’environnement qui génère une véritable angoisse chez les citoyens.

William Morris, designer, artiste et penseur anglais ainsi que John Ruskin, écrivain et poète anglais, font ce triste constat. L’un comme l’autre sont désespérés par l’objectification de la classe ouvrière et sont profondément attachés aux valeurs traditionnelles ; ils ne croient pas au progrès sociétal que promet l’Empire britannique. À eux deux, ils vont parvenir à tisser le fil qui unit les arts décoratifs aux Beaux Arts… 

Une philosophie à contre-courant 

Les acteurs du mouvement Arts and Crafts rejettent l’industrialisation massive de l’Angleterre et la domination qu’elle assoit sur ses colonies. En effet, alors que l’Empire tire un grand avantage de la révolution industrielle, le peuple anglais souffre des conditions de travail médiocres et du faible niveau de vie qui lui est imposé. 

La production industrielle de meubles et d’objets s’accompagne d’une importante baisse de qualité et d’une majeure perte de savoir-faire. L’artisanat est relayé au second plan. Alors, il est indispensable pour les membres du groupe de remettre sur le devant de la scène le travail fait main, la minutie de l’artisanat, la tradition de la technique. L’art et l’artisanat doivent se retrouver partout ; les personnes doivent être en mesure d’observer de l’art mais aussi de s’en servir au quotidien. Naît alors tout un travail sur les objets usuels tels que la vaisselle, les meubles, les tapis, les luminaires…

Pour se détacher plus encore de la ferveur industrielle de l’époque, les pièces sont réalisées en petite série, parfois même sur commande. Elles mêlent des matériaux nobles, comme le bois massif, le tissu, le verre, l’acier, l’émail, ou le fer forgé. C’est de cette façon que les designers parviennent à revenir à une production raisonnée et inspirée.

Les principes Arts and Crafts

Le mouvement Arts and Crafts s’accompagne d’une philosophie dissidente et de principes stricts : 
– Un artisan ne s’épanouit que s’il s’implique dans chaque étape de la réalisation de son produit, 
– Être heureux au travail est indispensable pour créer une belle pièce,
– L’art doit être partout, surtout dans les objets du quotidien. 

La philosophie Arts and Crafts se retranscrit dans la volonté des artistes de faire de belles choses. C’est toute une pensée contestataire que défendent les artistes-artisans : le beau doit être démocratisé. Les Beaux Arts ne doivent pas être seuls garants de la beauté dans la création. Il est nécessaire de la rendre accessible à tous, par le biais d’un travail minutieux et passionné. Morris et Ruskin voient là l’occasion d’offrir à tous les foyers, du plus modeste aux plus aisé, des pièces de bonne facture et, surtout, esthétiques. Cette envie d’embellir le monde est partagée par les autres membres du groupe. Parmi eux, Eric Gill, Gustav Stickley, Walter Crane, Philip Webb ou encore Emery Walker.

La nature comme muse 

L’environnement et la botanique peuvent être vus comme la principale source d’inspiration des artistes Arts and Crafts. C’est notamment le cas pour Ruskin, pour qui il est impensable de contempler le monde plus vite qu’à la vitesse d’un cheval au galop. De surcroît, c’est lui qui encourageait les Préraphaélites à aller plus loin dans leur représentation de la nature. Il leur conseillait de s’y aventurer pour composer leurs toiles… 

Dans leur quête de simplicité et de nature, les artistes Arts and Crafts rejoignent la campagne anglaise. Ils fondent alors des écoles où l’on enseigne la poterie, l’émaillage, la broderie… Là-bas, ils redécouvrent les joies de la culture et de la création à petite échelle, à l’abri de l’usinage londonien. Les pièces faites main sont d’une rare minutie et l’on apprécie leur finesse. On y retrouve des oiseaux délicats, des feuillages harmonieux, des palettes vibrantes… Tant de motifs qui font écho à la liberté retrouvée des membres du mouvement. 

Ce courant de pensée s’exporte en Europe centrale, en Scandinavie et même aux États-Unis. On y voit s’installer des communautés d’artisans travaillant des matériaux nobles et naturels pour, à leur tour, donner vie à du mobilier riche de sens. Les objets d’art Arts and Crafts reflètent ce rapport si particulier à la nature. Pour le voir, il suffit d’observer leurs couleurs chaudes et profondes inspirées par la terre cuite et le bois, ou bien leurs courbes rondes rappelant la forme d’une feuille ou les cernes d’un tronc d’arbre…

Un fondateur au style unique

Le style si particulier de William Morris inspire encore les arts décoratifs aujourd’hui. Il est à l’origine de nombreux ouvrages, tous significatifs de ses multiples talents. En effet, Morris était établi en tant qu’homme d’affaires, homme politique socialiste, architecte, imprimeur… Ce qui lui a valu de s’imposer comme une figure emblématique du Royaume-Uni du 19ème siècle. Dans ses œuvres, il utilise des motifs végétaux et s’efforce d’apporter de l’humanité, de la sensibilité, de la nostalgie, dans une Angleterre qu’il trouve laide, froide, sinistre. 

Morris est passionné de littérature médiévale et d’architecture gothique. Il tente de retranscrire cette fascination dans son artisanat. De plus, il participe à la conception et à la décoration de la Red House, sa propre demeure. L’artiste imagine entièrement la maison, des meubles aux vitraux en passant par les tissus – et bien sûr, les papiers peints. Il les dessine avec soin, les ornant de fleurs et autres motifs botaniques. L’œuvre de Morris découle de son engagement politique et environnemental. Tout le long de sa carrière, l’artiste prend le contre-pied de l’Empire britannique, du capitalisme et des effets de l’industrialisation sur la nature.

Un nouveau souffle pour l’art moderne

La mouvance Arts and Crafts est, par essence, profondément marquée par son contexte sociohistorique. Elle a cependant su inspirer de nombreux artistes par la suite. Le lien le plus évident à établir serait celui avec l’Art Nouveau français, qui apparaît dans les années 1880. Les travaux des Arts and Crafts autour des arts décoratifs inspirent ce nouveau mouvement. L’Art Nouveau se caractérise par une effervescence de couleurs, de motifs inspirés de la nature, d’arabesques et de dynamisme. Son succès est rapide et international, si bien que se développe la Glasgow School of Art en Écosse dans la décennie 1890. Plus tard, le mouvement japonais Mingei voit le jour ; il explore majoritairement la poterie et la céramique afin de célébrer le patrimoine local. 

Aussi, il est nécessaire de relever l’influence du mouvement Arts and Crafts sur le Bauhaus. Alors que l’un rejette la révolution industrielle et ses effets sur la société, l’autre l’accepte et en tire les conclusions nécessaires pour insuffler un vent de modernité dans les arts appliqués et le design. Ceci, sans ne jamais perdre de vue un objectif de valorisation de l’artisan, de sa technique et de son style. 

En conclusion…

Le mouvement Arts and Crafts est né d’un profond rejet de la société anglaise de la seconde moitié du 19ème siècle. Pourtant, il puise son origine dans le groupe des préraphaélites et a su perdurer et inspirer les groupes artistiques ultérieurs. La philosophie Arts and Crafts résonne même dans notre quotidien : à l’heure où l’urgence climatique est au cœur de toutes les discussions, beaucoup prônent un retour à l’essentiel et une consommation plus responsable. Les artistes-artisans du groupe préconisaient ce même style de vie à l’époque, mais étaient vus comme des radicaux ! D’ailleurs, si l’art engagé vous intéresse, découvrez plus d’œuvres au message politique sur Artsper…