Home > La minute arty > Port franc de Genève: le plus grand musée du monde
La minute arty 27 Mai 2015

Port franc de Genève: le plus grand musée du monde

Des hangars couleurs crème, des palissades grises et quelques barbelés, voilà tout ce que l’on peut voir du Port franc de Genève. Situé sur le bord d’une autoroute et à deux pas de l’aéroport international, il abrite en sous-sol le plus grand coffre-fort de la planète. Personne ne sait ce que ces entrepôts cachent, et les légendes circulent abondamment. Les quelques histoires rapportées laissent dubitatif: le Louvre y stockerait des toiles de grands-maîtres ; des sarcophages égyptiens de plus de 2000 ans y ont été retrouvés ; le lieu servirait de plaque tournante pour le blanchiment d’argent et les trafics en tous genres…

Artsper met les points sur les « i » et distingue le vrai du faux à propos du Port franc de Genève.

{Le port franc de Genève en quelques chiffres}

En taille…

  • 300.000m2: la surface des hangars du Port franc de Genève.
  • 140.000m2: la surface dédiée aux œuvres d’art.
  • 40.000m2: le projet d’agrandissement uniquement dédié aux œuvres d’art.
  • 20.000m2: surface louée par la société de Yves Bouvier, le plus grand spécialiste du transport et stockage d’œuvres d’art, qui est également actionnaire client dans d’autres ports francs à l’international.

En quantité…

  • Le port franc de Genève abrite entre 900.000 et 1.000.000 d’œuvres des plus grands peintres.
  • Une zone qui voit transiter CHF 100 Milliards de marchandise par an.

En comparaison…

  • 210.000m2: la surface totale du Louvre.
  • 60.000m2: la superficie des galeries du Louvre.
  • 300.000: le nombre d’œuvres détenues par le Louvre (3x moins que le Port franc de Genève)

{La législation}

Les ports francs furent à l’origine créés pour ajourner les formalités douanières, permettant ainsi de ne payer aucune TVA, de ne déclarer aucune marchandise, et de ne remplir aucune formalité pendant toute la durée du stockage jusqu’à la réexpédition de la marchandise.

Cependant, profitant d’un vide juridique, des sociétés spécialisées ont commencé à transformer ces ports francs en lieux de stockage à long terme pour tous types d’individus: honnêtes collectionneurs, vénérables institutions, fraudeurs du fisc, voleurs de haut-vol, dictateurs précautionneux ou encore marchands d’armes

Suite à une série de scandales, la Suisse exige depuis 2005 de vérifier la provenance et la propriété des biens culturels, et demande depuis 2009 un inventaire complet et obligatoire (photo, valeur, description, identité du propriétaire). Jérôme Coquoz, directeur des douanes de Genève, doute toutefois de l’efficacité de telles mesures : «je pense que sur 1000 camions, 60 sont contrôlés sur la base documentaire et 5 au niveau matériel. C’est extrêmement peu».

{La vitrine officielle du port franc de Genève}

Dans cette zone de quasi non-droit, le discours des responsables du port franc de Genève se montre toutefois très rassurant. «Préserver l’art dans des conditions optimales est la raison principale qui incite à utiliser des entrepôts» reconnait Denis Schott, un encadreur ayant développé son activité dans le port franc de Genève. Ce lieu est en effet un lieu idéal pour la conservation d’ œuvres d’art: l’humidité et la température y sont parfaitement contrôlés ; la sécurité y est totale ; et la restauration, l’encadrement, l’authentification, l’évaluation et le transport spécialisé y sont proposés. Une conciergerie de luxe pour des biens d’exception.

« Les œuvres d’art ne restent pas tapies dans l’ombre. L’idée que les collections entreposées dans des ports francs ne sont jamais présentées au public relève du mythe » affirme Jean-René Saillard, directeur des ventes du fond d’investissement British Fine Art Fund Group. Certaines chambres fortes sont des vitrines pour les plus grands marchands qui transforment leur coffre-fort en vraie galerie de luxe. Et il arrive également que des collectionneurs acceptent de sortir leur collection pour de grandes expositions. Surtout si cela augmente la valeur de leurs précieux biens…

Tout compte fait, le port franc de Genève a une double utilité fondamentale dans le marché de l’art. Premièrement, c’est une colonne logistique de grande qualité, qui permet d’y faire transiter des œuvres pour les réexpédier dans les meilleures conditions. Deuxièmement, c’est un débarras de luxe pour des collectionneurs et les musées dont l’appétit artistique dépasse leurs capacités de stockage. Car il est vrai et bien connu qu’aucune collection majeure n’est intégralement accrochée au mur.

{Vitrine officieuse et réputation sulfureuse}

S’il est vrai que les ports francs ont une réelle utilité dans le marché de l’art, les secrets qu’ils recèlent sont bien cachés derrière 5 portes blindées de plusieurs tonnes chacune. Et les rumeurs relatives aux trésors cachés de dictateurs, aux chefs-d’œuvre volés, ou aux évadés du fisc, sont invérifiables.

Quelques affaires récentes viennent toutefois rappeler qu’il ne s’agit pas uniquement de purs fantasmes.

En 2003, 200 pièces archéologiques égyptiennes disparues ont été perquisitionnées dans le port franc de Genève. Parmi ces pièces, deux momies de plus de 2000 ans étaient exposées sur les présentoirs d’un grand coffre-fort spacieux. Exposées ? Il s’agissait en effet d’une galerie d’exposition pour une société de marchands canadiens peu scrupuleux.

En 2012, c’est un sarcophage romain du IIe siècle volé en Turquie qui a été retrouvé dans l’un de ces coffres forts.

Ainsi, malgré les nouvelles dispositions législatives mises en place, la réalité demeure douteuse.

Les gens peuvent déclarer ce qu’ils veulent car les contrôles sont très rares. Les douaniers ne sont pas très attentifs à ce qu’il se passe à La Praille. « C’est une zone de non-droit. » déclare un expert suisse. De son côté, François Monnat, suppléant du directeur des Douanes de Genève reconnait même: « un camion rempli d’armes qui sont déclarées comme des machines à coudre a 98 chances sur 100 de passer les contrôles sans être remarqué ».

{Un avenir incertain}

Le port franc de Genève est le plus célèbre, le plus réputé des ports francs, avec le plus grand nombre d’œuvres d’art et la palette de services spécialisés la plus large. Mais la relève est déjà assurée… En Suisse, ce ne sont pas moins de 12 ports francs qui sont répartis entre Chiasso, Zurich, Bâle et ailleurs. Et si l’on passe la frontière helvétique, leur nombre est incalculable et leur contenu est inidentifiable.

Si l’on cherche à tracer les ports francs qui recèlent le plus d’œuvres d’art il existe malgré-tout une technique… La société détenue par le marchand Yves Bouvier, Natural le Coultre, est spécialisée dans le transport et l’entreposage d’œuvres d’art. La société (et ses filiales) est le premier locataire du port franc de Genève, l’un des plus grand locataires à Monaco, le principal actionnaire du port franc de Luxembourg, le principal actionnaire du futur port franc de Singapour, partenaire du projet de port franc de Shanghai, et à la tête du projet du plus grand port franc du monde à Pékin. Cette société qui voit transiter des centaines de milliers d’objets d’art chaque année, est un bon indicateur pour savoir où ses partenaires (grands collectionneurs, musées internationaux, Sotheby’s et Christie’s) iront stocker leurs trésors.

L’avenir des ports francs semble plutôt radieux lorsque l’on sait que le port franc de Genève construit 40.000m2 de stockage supplémentaires pour les œuvres d’art ; et que la société de Yves Bouvier (récemment arrêté pour « escroquerie » dans la vente d’un Modigliani à $118 millions) est passée, en quelques années seulement, du statut d’entreprise familiale de garde-meuble à celui de multinationale dont l’influence et le développement sont exponentiels.

À propos d’Artsper

À propos d’Artsper

Fondée en 2013, Artsper est une marketplace en ligne d’art contemporain. En partenariat avec 1 800 galeries d’art professionnelles autour du monde, elle rend accessible à tous la découverte et l’acquisition d’œuvres d’art.

En savoir plus