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Décryptage: sur les pas du maître du marketing, Jeff Koons
La minute arty 20 Jan 2016

Décryptage: sur les pas du maître du marketing, Jeff Koons

L’oeuvre controversée de Jeff Koons place l’artiste comme l’une des figures de proue de l’art de notre temps. Ses créations facilement compréhensibles, luxueuse et « glamour » sont facilement identifiables. Si certains lui reprochent une création qui manque de substance, d’autres le citent comme le génie indétrônable du marketing. Jeff Koons est un artiste et une marque à la fois. Que l’on adhère à sa création artistique ou pas, Jeff Koons est, à bien des égards, le nouvel Andy Warhol, à la différence qu’il a porté l’art de l’auto-promotion à une dimension plus grande encore.

Artsper revient sur la recette du succès du phénomène Jeff Koons à travers 7 faits qui expliquent l’empire symbolique de l’artiste.

#1 UN ARTISTE DÉTERMINÉ 

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Jeff Koons, Blue Balloon Dog, 2002, Courtesy of Markowicz Fine Art

Jeff Koons, originaire d’une petite ville, emménage à New York à l’âge de 22 ans pour y vendre des adhésions au MoMA (Museum of Modern Art). Pour financer son art, il travaillera pendant 5 ans en tant que courtier financier à Wall Street. Il utilisera par la suite des expressions inspirées du jargon financier (« Cela augmentera ma part de marché », « Je dois diversifier mon panier »), au grand dam des acteurs du marché de l’art, horrifiés par cet artiste qui se revendique de l’art commercial. Frustré par des ventes peu fructueuses, il reviendra habiter chez ses parents en Floride pendant l’été 1982 pour économiser de l’argent, avant de faire son retour sur la scène new-yorkaise l’hiver suivant. Abstraction faite des discours autour de la création de l’artiste, il est indéniable que la détermination de Jeff Koons pour mener à bien son projet est présente tout au long de son parcours.

#2 UN COURT-CIRCUITEUR

A la manière de Warhol et ses célèbres soupes Campbell, Koons rend célèbres des produits manufacturés tels que le « Deluxe Shampoo Deliver ». Il les recontextualise, les met en vitrine, ironise en exacerbant le glamour d’objets banals du quotidien. Alors que l’argent est un sujet tabou dans le monde de l’art et est perçu traditionnellement comme un mal qui souille la pureté et la noblesse de l’acte créatif, Jeff Koons épouse le capitalisme inhérent au marché de l’art sans hypocrisie aucune. Il en fera le fil rouge sous-jacent à sa conception esthétique de manière plus marquée que chez Warhol. A ce titre, Robert Pincus-Witten, historien et directeur des expositions au C&M Arts, résume parfaitement la démarche de Koons : « Jeff reconnaît que les œuvres d’art sont, dans la culture capitaliste, inévitablement considérées comme des marchandises. Allons-y franchement, court-circuitons le processus, et mettons la valeur marchande en avant ! ».

#3 UN ARTISTE CONCEPTUEL

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Jeff Koons, Plate “Split-Rocker” , 2012, Courtesy of Galerie Fluegel Roncak

Koons conçoit ses œuvres en réfléchissant longuement à l’espace où son œuvre sera exposée et en prenant en compte également les personnes qui sont susceptibles de l’acheter. Une fois encore, Jeff Koons maîtrise bien les mécanismes du marché. Il est conscient les prix hystériques qu’atteignent ses œuvres et en joue à son avantage. Plus encore, Jeff Koons se reconnaît une grande importance au sein des artistes de sa génération. Il se perçoit comme un pionnier et un précurseur, qui fait le «sale boulot » des artistes de son temps, puisque selon lui, « chaque génération comporte quelqu’un qui doit symboliser ce qui va mal avec l’art actuel ». Ses œuvres se veulent être représentatives des contradictions du monde d’aujourd’hui : lisses, attirantes, en grand format avec un soucis méticuleux du détail et une exécution irréprochable, renvoyant à un luxe factice et à la course en avant de la vie moderne. Koons affirme par ailleurs que son œuvre appelle à une prise de conscience. Son travail est contre la fonction critique de l’art et cherche à abolir le jugement, afin que « l’on puisse regarder le monde et l’accepter dans sa totalité pour ce qu’il est ». L’artiste cherche par là à effacer toute forme de ségrégation et à abolir la hiérarchie. Ce à quoi le critique Robert Hughes répond : « Si Jeff Koons parle de la lutte des classes dans ses œuvres, je suis Marie de Roumanie ! »

#4 UN CERCLE RESTREINT DE COLLECTIONNEURS ET D’AGENTS

L’ambition de Koons n’est à la hauteur que du cercle proche d’agents et de collecteurs qu’il a développé. Sa vision va au-delà de celle de ses collectionneurs, ce qui lui permet de manipuler son marché. Propulsé par le collectionneur Grec Dakis Joannou, il a été approché par Sonnabend, Deitch, Gagosian, Mnuchin, Donald Young, agents les plus reconnus du monde de l’art, ainsi que par un cercle de collectionneurs tels que François Pinault, propriétaire de la maison de vente Christie’s, Peter Brant et Stephan Edlis, qui ont placé ses œuvres au cœur de leur collections et les achetaient à leur sortie du studio. Plus récemment, Koons fait partie des collections des plus grandes célébrités. Au fil des années, il a persuadé les collectionneurs à financer ses sculptures, ce qui lui permet une grande maîtrise de sa cote sur le marché.

#5 UNE MAÎTRISE POINTUE DE L’ART DU BUZZ 

Jeff Koons, avec Tracey Emin, est l’artiste contemporain à avoir le plus largement instrumentalisé l’auto-promotion et la publicité. Le prix des enchères de Koons ont atteint les sommets en 1999 quand Peter Brant, magnat de la Presse, a dépensé 1.8 millions de dollar pour Pink Panther (1988), une sculpture en porcelaine de la Panthère rose dans les bras d’une blonde aux courbes généreuses. Avant sa mise aux enchères, l’œuvre avait fait les choux gras de la presse, puisque Koons avait expliqué que la blonde « n’avait rien d’autre à faire avec la Panthère Rose que de l’emmener chez elle pour se masturber ». Peu avant la vente, des comédiens en costume de Panthère Rose ont paradé chez Christie’s, pour mettre encore plus en exergue ce lot particulier au sein de la vente. Par ailleurs, son mariage de courte durée avec Ilona Staller, une star pornographique et figure politique en Italie qui lui a inspiré sa série explicitement sexuelle “Made in Heaven”. Ce goût prononcé pour le scandale et sa manipulation des médias lui a assuré une grande maîtrise de son marché. En provoquant la presse, l’artiste a réussit le double pari d’atteindre son marché cible (les collectionneurs les plus fortunés) tout en se faisant connaître largement auprès du grand public.

#6 LA RECONCILIATION AVEC LES INSTITUTIONS 

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Jeff Koons, Puppy, 1992, Courtesy of Guggenheim Bilbao Museoa

Enfin, grâce aux éléments cités précédemment, Koons a réussit à franchir la grande porte de la validation institutionnelle. Jeff koons a longtemps déchaîné la critique, au point où, comme le pointe Bernard Blistène, directeur du musée national d’art moderne, « on se demande si c’est encore l’œuvre qu’il s’agit de juger ou la mythologie d’un homme devenu un personnage ». En 2014, le centre Pompidou lui consacre une rétrospective sur son œuvre. Il devient ainsi l’artiste le plus visité de l’histoire du centre ! Dès lors, une partie de la sphère des critiques et des curateurs muséaux présentent son œuvre comme un art accessible à tous, une synthèse entre pop et minimalisme portant sur des sujets qui parlent à tous pour tenter de réconcilier l’art contemporain et la culture populaire.

#7 LA FACE CACHÉE DE L’ARTISTE 

Enfin, peu savent que Koons est un fin connaisseur des arts médiévaux et de la Renaissance, ainsi qu’un éternel romantique. La galeriste Sonnabend n’hésitait pas à dire qu’il serait prêt à se ruiner financièrement pour que son œuvre soit parfaite à ses yeux. « Il voulait que l’oeuvre soit un miracle ». Cette attitude perfectionniste lui attribue une aura d’intelligence acérée qui contribue à renforcer la mythologie autour de Jeff Koons, ce poète capitaliste.